Barracuda : Le futur des sous-marins nucléaires d'attaque
Malgré les difficultés budgétaires, le programme des sous-marins nucléaires d'attaque du type Barracuda a été maintenu, avec un total de six unités. L'étalement de la construction dans le temps, redouté ces derniers mois, devrait être finalement minime, c'est-à-dire de l'ordre de six mois sur l'ensemble du programme, dont le coût atteindra 7.89 milliards d'euros. Le projet de loi de finances 2009 prévoit, en outre, la commande du second SNA l'an prochain (le premier l'avait été fin 2006). En attendant, la construction du Suffren, tête de série du programme, a débuté le 19 décembre 2007 avec la découpe de la première tôle sur le site DCNS de Cherbourg. Le premier anneau est aujourd'hui achevé, alors que les études détaillées du navire se poursuivent. Pour DCNS, Barracuda est un programme majeur non seulement par son coût, mais aussi par son aspect structurant pour l'ensemble du groupe.
A Cherbourg, où travaillent 2300 salariés, les SNA représenteront plus de 50% de l'activité jusqu'au début des années 2020. L'établissement d'Indret, près de Nantes, qui emploie près 1000 personnes pour la conception et la réalisation des appareils propulsifs, est le deuxième grand bénéficiaire de ce contrat, qui représente 40% de l'activité dès la fin 2008. D'autres sites de DCNS sont également associés au projet, comme Ruelle, près d'Angoulême, pour les tubes et les systèmes de manutention de torpilles, ainsi que les lignes d'arbres et les consoles des systèmes de conduite. Enfin, plus discret, Areva TA, ex-Technicatome, maître d'oeuvre de la chaufferie nucléaire, engrangera 15% du contrat. L'organisation industrielle de ce programme consiste en une co-maîtrise d'ouvrage entre la DGA et le Commissariat à l'Energie Atomique (CEA) et une co-traitance conjointe mais non solidaire entre DCN et Areva TA, l'ex-Direction des Constructions Navales étant maître d'oeuvre d'ensemble et architecte d'ensemble.
Côté livraisons, le Suffren doit être opérationnel en 2017. Le bâtiment suivant le sera deux ans et demi plus tard, les SNA 3 à 6 étant ensuite livrés tous les deux ans. Les noms retenus pour ces sous-marins sont Suffren, Duguay-Trouin, Dupetit-Thouars, Duquesne, Tourville et De Grasse.
Le Suffren rejoindra donc la Marine nationale dans neuf ans, au moment où le Rubis, premier SNA de la génération précédente, fêtera son 34ème anniversaire. Ce submersible et ses sisterships feront alors figure de vétérans, sans compter que leur maintien en service, pour compenser le glissement de leurs remplaçants, nécessitera un programme d'entretien plus poussé et un ou deux changements de coeurs nucléaires supplémentaires. Prodiges de compacités, les Rubis souffrent, aujourd'hui, d'un certain manque de place pour assurer les futures missions dévolues à la marine. La principale différence du Barracuda par rapport à ses aînés sera donc sa taille : 99.5 mètres pour 4680 tonnes en surface (5300 tonnes en plongée), contre 73.6 mètres et 2385 tonnes pour les Rubis (2670 en plongée). Cette augmentation du volume permettra de répondre aux nouvelles normes en matière de sécurité nucléaire (redondance accrue, auxiliaires et pompes supplémentaires) mais aussi d'améliorer la discrétion acoustique et de porter de 14 à 20 le nombre d'armes embarquées, tirées depuis quatre tubes de 533 mm. Avec Barracuda, le missile de croisière Scalp Naval fera sa grande arrivée dans la sous-marinade française. Outil d'action et de dissuasion manquant cruellement à la France depuis la première guerre du Golfe, en 1991, le missile de croisière offre la capacité de tir de grande précision contre des objectifs terrestres, et en toute discrétion au large d'une côte hostile. Le dérivé navalisé du Scalp (déjà en service sur avions de combat, et dont en 2009 sur le Rafale F3) atteint une portée de 1000 kilomètres et sera également installés sur les frégates multi-missions (FREMM).
Outre le Scalp Naval, les Barracuda disposeront de la future torpille lourde (FTL). Dérivée de la Black Shark vendue à l'export, la F-21 équipera également les SNA du type Rubis et les sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (en remplacement de la F-17 Mod2). Le programme Artemis, qui porte sur le renouvellement du parc de torpilles, a été notifié en avril dernier à DCNS. D'une longueur de 6 mètres pour un diamètre de 533 mm et un poids de 1.5 tonne, la F-21 affichera des performances nettement supérieures à son aînée. Capable de plonger au-delà de 500 mètres, elle dépassera 50 noeuds et pourra atteindre une cible à 50 kilomètres. Les Barracuda mettront également en oeuvre le missile antinavire Exocet SM39 (portée de 50 km), qui doit être modernisé au standard Block2 Mod2.
Afin de répondre aux besoins de déploiement de forces spéciales à partir des sous-marins, les Barracuda pourront être équipés derrière le massif (kiosque), d'un caisson pour commandos. Utilisant le sas de secours, ce module s'assimile à un véritable compartiment supplémentaire, où les forces spéciales, au nombre de 10, pourront stocker leurs matériels et se préparer dans des conditions optimales. Cette capacité d'action et de reconnaissance est particulièrement attendue par l'état major de la marine. Le système de combat, du type SYCOBS, sera commun avec le SNLE Le Terrible, et doté d'une nouvelle architecture sonar développée par Thales (sonar de coque UMS-3000, antenne de flanc, antenne remorquée et sonar d'évitement de mines).
Innovations technologiques
Sur de nombreux points, les Barracuda reprendront des innovations éprouvées sur les Scorpène, des sous-marins à propulsion conventionnelle réalisés en coopération avec l'Espagne et destinés à l'export. Bénéficiant d'une attention toute particulière en matière de réduction des bruits rayonnés, le premier bâtiment de ce type s'est révélé extrêmement silencieux, y compris à vitesse élevée. A plus de 20 noeuds, les capacités d'écoute du Scorpène seraient encore excellentes. Pour le futur SNA français, DCNS reprendra donc certaines recettes ayant abouti à ce résultat, à commencer par les avancées réalisées en matière de tuyauterie ou de câblage. Barracuda reprendra également les progrès du Scorpène en matière d'automatisation et de réduction d'équipage (60 marins contre 70 sur les Rubis), ainsi que dans le domaine de l'ergonomie. Traditionnellement, le PC propulsion est situé à l'arrière du bâtiment, près du réacteur. Désormais, avec les progrès de l'automatisation, il peut être situé sous le PC navigation, concentrant la conduite dans une zone centrale et laissant l'arrière inhabité, sur 40% de la longueur totale. De même, le PCNO sera légèrement décalé par rapport au kiosque; un déplacement rendu possible par l'absence de périscope pénétrant. Le traditionnel puits, très encombrant, est remplacé par un système d'écrans reliés à un mât optronique fournis par Sagem Défense Sécurité.
En matière de navigation, le Barracuda sera le premier submersible français à être doté de barres de plongée en forme de croix de Saint-André, une disposition permettant d'améliorer la manoeuvrabilité. Enfin, le submersible répondra à la réglementation environnementale MARPOL, un système de retraitement permettant de conserver à bord l'ensemble des déchets.
Des technologies spatiales pour le traitement de l'air
Elément fondamental du sous-marin, l'usine Elimination Des Polluants (EDP) est chargée d'assurer la qualité de l'air ambiant à bord. La réalisation de l'EDP a été confiée à une division allemande d'Astrium Space Transportation, filiale du groupe EADS. « La qualité de l'air ambiant à bord des sous-marins à propulsion nucléaire est un sujet important puisque, n'ayant pas de communication avec l'atmosphère terrestre, l'air doit être assaini par des installations de régénération de l'atmosphère du bord embarquées », explique-t-on chez EADS. Ainsi, il faut éliminer le dioxyde de carbone produit par la respiration des membres d'équipage, l'hydrogène issu des batteries ainsi que divers polluants organiques générés par les équipements et la vie à bord. Pour y parvenir, DCNS, concepteur et constructeur du Barracuda, a choisi un procédé innovant, la toute dernière technologie régénératrice pour l'absorption de CO2 et l'élimination des polluants, développée à l'origine pour la station spatiale internationale. La cellule d'absorption fournie pour les Barracuda sera, ainsi, du même type que celle produite dans le cadre du programme Air Revitalization Systems (ARES). Initié par l'Agence spatiale européenne pour la station spatiale internationale (ISS), ce programme a vu le développement, par Astrium, d'un système en circuit fermé qui équipera donc les Barracuda.
Une IPER tous les 10 ans et même combustible que les centrales EDF
Au niveau de l'appareil propulsif, le Barracuda sera assez original. Jusqu'à une vitesse usuelle de patrouille, la propulsion sera assurée par deux moteurs électriques alimentés par des turboalternateurs recevant la vapeur du réacteur. En revanche, pour les vitesses de pointe, le navire utilisera un groupe turbopropulseur qui emmènera ses 5300 tonnes en plongée à plus de 25 noeuds. La chaufferie nucléaire est directement dérivée de celles embarquées sur les SNLE et le porte-avions Charles de Gaulle. Reprenant la même technologie, elle est néanmoins plus petite, offrant seulement 30% de la puissance des K 15 (50 MW au lieu de 150). Ces installations, très surveillées, ne nécessiteront un entretien courant que tous les ans et un rechargement du coeur tous les 10 ans, contre 7 ans pour les SNA actuels. La durée de vie des sous-marins étant de 30 ans, ils ne subiront donc que deux Indisponibilités Périodiques pour Entretien et Réparations (IPER) au cours de leur service actif. En outre, l'enrichissement des coeurs n'aura plus besoins de passer par une filière militaire mais sera traité commercialement, le combustible prévu pour les SNA de nouvelle génération étant identique à celui des centrales nucléaires d'EDF.
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