La France a étudié l'acquisition du porte-avions HMS Queen Elizabeth
Le HMS Queen Elizabeth devait mettre en oeuvre des F-35B crédits : ROYAL NAVY |
13/10/2011
Comme nous l'évoquions fin 2010 suite à la décision du gouvernement britannique de ne conserver que l'un des ses deux futurs porte-avions issus du projet CVF (Carrier Vessel Future), la France s'est intéressée à l'éventuelle l'acquisition du HMS Queen Elizabeth. Actuellement en cours d'assemblage au chantier Babcock de Rosyth, en Ecosse, ce bâtiment, qui doit être livré vers 2016, va en effet être vendu. Cette décision découle du choix de Londres d'abandonner la version à décollage court et appontage vertical du Joint Strike Fighter (JSF), le F-35B, au profit de la version catapultée du nouvel avion, le F-35C. Dans cette perspective, le sistership du Queen Elizabeth, le futur Prince of Wales, va être modifié pour disposer de catapultes, de brins d'arrêt d'une piste oblique, le tremplin situé à l'avant étant amené à disparaître. Cette évolution, qui entraine un report de la livraison du navire vers 2020, ne sera pas mise en oeuvre sur le premier bâtiment de la série. Du coup, faute d'avions compatibles (le F-35B ayant été abandonné et le Harrier retiré du service), la Royal Navy se séparera du Queen Elizabeth.
Les deux CVF tels qu'ils devaient être à l'origine (© : ROYAL NAVY)
Techniquement possible grâce à l'ex-coopération franco-britannique
Dans ces conditions, il paraissait pertinent d'étudier la possibilité de récupérer la coque au profit de la Marine nationale. Car si, pour l'heure, le Queen Elizabeth ne compte pas de catapulte ni de brin d'arrêt, impératifs pour la mise en oeuvre des Rafale de l'aéronautique navale, il ne faut pas oublier que les études du CVF ont été menées, entre 2006 et 2008, en coopération avec la France. A l'époque, Paris souhaitait profiter du programme britannique pour réaliser le second porte-avions de la Marine nationale, en ajoutant aux deux CVF un troisième exemplaire, adapté aux impératifs techniques français. Sur la base des Queen Elizabeth Class (QE Class), les ingénieurs français ont donc travaillé avec leurs homologues britanniques sur un nouveau design (dit à l'époque CVF-FR), permettant notamment d'adapter des catapultes et brins d'arrêt. Intéressés, les Britanniques en ont profité pour bénéficier du savoir-faire tricolore dans le domaine des porte-avions conventionnels et modifier les QE Class, afin qu'ils puissent, au cours de leur carrière, être si besoin transformés pour recevoir des avions catapultés. Ces études, qui ont coûté plus de 100 millions d'euros à la France (qui a abandonné le projet en coopération en 2008) auront donc servi à quelque chose puisque, finalement, ce que les Britanniques considéraient comme une option à long terme deviendra la configuration initiale du Prince of Wales.
Le projet CVF-FR (© : DCNS)
Le projet CVF-FR (© : DCNS)
Le projet CVF-FR (© : DCNS)
La dernière vue connue du CVF-FR (© : DCNS)
Le HMS Queen Elizabeth avec tremplin et F-35B (© : BAE SYSTEMS)
Vue du futur HMS Prince of Wales (© : BAE SYSTEMS)
Partant de ce principe, on pouvait donc se demander dans quelle mesure, alors que Paris et Londres ont signé de nouveaux accords de Défense l'an dernier et souhaitent renforcer leurs relations, notamment dans le domaine aéronaval, il serait possible de récupérer le Queen Elizabeth pour compenser les indisponibilités techniques du Charles de Gaulle. Politiquement et industriellement, il eut été possible d'aboutir à un échange « équitable » pour que ce rachat ne lèse pas trop les chantiers français. Ainsi, en contrepartie du rachat du Queen Elizabeth, la Royal Navy aurait pu confier aux industriels tricolores la réalisation de tout ou partie de sa future flotte logistique, qui fera d'ailleurs peut être l'objet d'une nouvelle coopération avec la Marine nationale, cette dernière devant remplacer ses ravitailleurs. Dans le domaine aéronautique également, les difficultés et surcoûts du programme JSF laissaient entrevoir la possibilité de vendre des Rafale Marine à la Grande-Bretagne. Paris lui permettant de se débarrasser d'une coque bien encombrante et difficilement vendable, Londres aurait pu se laisser convaindre de remplacer le F-35C américain par l'appareil français, ce qui aurait au passage renforcé considérablement l'interopérabilité des deux marines.
Mais, avant même d'imaginer ce genre de tractations, il fallait d'abord s'assurer que, techniquement et financièrement, la reprise du bâtiment britannique était jouable.
Les CVF sont réalisés en méga-blocs dans 6 chantiers différents (© : ACA)
Beaucoup trop cher
Discrètement, le ministère de la Défense a donc étudié la question. Et c'est l'amiral Guillaud, lors d'une audition devant la Commission de la Défense de l'Assemblée nationale, le 5 octobre, qui l'a confirmé. « Nous avons étudié la possibilité de recourir au Queen Elizabeth, assemblé en Écosse », a reconnu le Chef d'état-major des Armées. Mais, à la lumière de l'enquête menée, cette solution ne serait pas viable. En effet, pour l'amiral Guillaud, le Queen Elizabeth présente deux défaut : « Il est construit en plusieurs morceaux par différents chantiers navals, ce qui rend son coût de revient supérieur de 30 à 40 % à celui de la fabrication dans un chantier français. En outre, il nécessiterait entre un milliard et un milliard et demi d'euros de modifications, notamment l'adaptation d'une partie de la coque pour installer des catapultes ». En clair, l'acquisition et la mise aux standards français du Queen Elizabeth représenterait un investissement de plus de 4 milliards d'euros. Or, d'après les estimations de l'amiral, « la construction en France d'un porte-avions complet du même modèle coûterait entre 3 et 3,5 milliards d'euros ». Impensable donc pour les finances de l'Etat en période de crise, mais aussi vis-à-vis des industriels français qui, inquiets d'éventuelles coupes dans d'autres programmes pour financer un tel achat, ont sans doute tout fait pour torpiller le projet. Dans une moindre mesure, l'option Queen Elizabeth se « heurtait » aussi à la problématique de la propulsion. Car, si Jacques Chirac avait opté en 2004 pour une propulsion classique, ouvrant la voie à une coopération avec les Britanniques, son successeur a demandé en 2008 une nouvelle étude afin de déterminer les avantages et les inconvénients de la propulsion nucléaire. Cette étude, qui vient d'être achevée, doit permettre au président de la République de faire un choix sur cette option technique.
Le groupe aéronaval français (© : MARINE NATIONALE)
PA2 : « L'équation budgétaire actuelle ne le permet pas »
Pour beaucoup, la réapparition, en 2008, de la question de la pertinence de la propulsion nucléaire pour le prochain porte-avions français n'était d'ailleurs qu'un leurre, destiné à reporter une nouvelle fois le dossier « PA2 », très sensible politiquement. Toujours est-il qu'à l'époque, Nicolas Sarkozy a renvoyé à 2011/2012 la décision de réaliser, ou non, le second porte-avions français. Cette année, la situation économique n'a laissé aucune latitude à ce sujet et en 2012, année d'élection présidentielle, il est fort peu probable que le dossier progresse. D'autant que, malheureusement, le contexte budgétaire n'aura sans doute pas évolué favorablement. « Un deuxième porte-avions serait le bienvenu mais l'équation budgétaire actuelle ne le permet pas », a confié le CEMA aux députés.
Alors que DCNS et STX France ont travaillé sur un nouveau design de porte-avions, dévoilé fin 2010, le projet est donc au point mort. Et, sauf miracle, ce devrait être le cas encore un bon moment, la priorité étant pour les industriels et les militaires de sécuriser les programmes actuels, notamment les frégates FREMM et sous-marins Barracuda pour la marine, dont les livraisons s'échelonnent respectivement jusqu'en 2022 et 2027.
En attendant une éventuelle embellie sur le dossier PA2, l'heure est plutôt, côté porte-avions, à la préparation du deuxième arrêt technique majeur du Charles de Gaulle, qui interviendra en 2016/2017. Très lourd, ce chantier de modernisation et de rechargement des coeurs nucléaires du bâtiment va très vite peser dans le budget. En effet, les approvisionnements à long terme ont nécessité d'inscrire une ligne budgétaire dès 2012, et ce sera le cas jusqu'à la fin du prochain arrêt technique.
Le Charles de Gaulle (© : MARINE NATIONALE)
Les deux CVF tels qu'ils devaient être à l'origine (© : ROYAL NAVY)
Techniquement possible grâce à l'ex-coopération franco-britannique
Dans ces conditions, il paraissait pertinent d'étudier la possibilité de récupérer la coque au profit de la Marine nationale. Car si, pour l'heure, le Queen Elizabeth ne compte pas de catapulte ni de brin d'arrêt, impératifs pour la mise en oeuvre des Rafale de l'aéronautique navale, il ne faut pas oublier que les études du CVF ont été menées, entre 2006 et 2008, en coopération avec la France. A l'époque, Paris souhaitait profiter du programme britannique pour réaliser le second porte-avions de la Marine nationale, en ajoutant aux deux CVF un troisième exemplaire, adapté aux impératifs techniques français. Sur la base des Queen Elizabeth Class (QE Class), les ingénieurs français ont donc travaillé avec leurs homologues britanniques sur un nouveau design (dit à l'époque CVF-FR), permettant notamment d'adapter des catapultes et brins d'arrêt. Intéressés, les Britanniques en ont profité pour bénéficier du savoir-faire tricolore dans le domaine des porte-avions conventionnels et modifier les QE Class, afin qu'ils puissent, au cours de leur carrière, être si besoin transformés pour recevoir des avions catapultés. Ces études, qui ont coûté plus de 100 millions d'euros à la France (qui a abandonné le projet en coopération en 2008) auront donc servi à quelque chose puisque, finalement, ce que les Britanniques considéraient comme une option à long terme deviendra la configuration initiale du Prince of Wales.
Le projet CVF-FR (© : DCNS)
Le projet CVF-FR (© : DCNS)
Le projet CVF-FR (© : DCNS)
La dernière vue connue du CVF-FR (© : DCNS)
Le HMS Queen Elizabeth avec tremplin et F-35B (© : BAE SYSTEMS)
Vue du futur HMS Prince of Wales (© : BAE SYSTEMS)
Partant de ce principe, on pouvait donc se demander dans quelle mesure, alors que Paris et Londres ont signé de nouveaux accords de Défense l'an dernier et souhaitent renforcer leurs relations, notamment dans le domaine aéronaval, il serait possible de récupérer le Queen Elizabeth pour compenser les indisponibilités techniques du Charles de Gaulle. Politiquement et industriellement, il eut été possible d'aboutir à un échange « équitable » pour que ce rachat ne lèse pas trop les chantiers français. Ainsi, en contrepartie du rachat du Queen Elizabeth, la Royal Navy aurait pu confier aux industriels tricolores la réalisation de tout ou partie de sa future flotte logistique, qui fera d'ailleurs peut être l'objet d'une nouvelle coopération avec la Marine nationale, cette dernière devant remplacer ses ravitailleurs. Dans le domaine aéronautique également, les difficultés et surcoûts du programme JSF laissaient entrevoir la possibilité de vendre des Rafale Marine à la Grande-Bretagne. Paris lui permettant de se débarrasser d'une coque bien encombrante et difficilement vendable, Londres aurait pu se laisser convaindre de remplacer le F-35C américain par l'appareil français, ce qui aurait au passage renforcé considérablement l'interopérabilité des deux marines.
Mais, avant même d'imaginer ce genre de tractations, il fallait d'abord s'assurer que, techniquement et financièrement, la reprise du bâtiment britannique était jouable.
Les CVF sont réalisés en méga-blocs dans 6 chantiers différents (© : ACA)
Beaucoup trop cher
Discrètement, le ministère de la Défense a donc étudié la question. Et c'est l'amiral Guillaud, lors d'une audition devant la Commission de la Défense de l'Assemblée nationale, le 5 octobre, qui l'a confirmé. « Nous avons étudié la possibilité de recourir au Queen Elizabeth, assemblé en Écosse », a reconnu le Chef d'état-major des Armées. Mais, à la lumière de l'enquête menée, cette solution ne serait pas viable. En effet, pour l'amiral Guillaud, le Queen Elizabeth présente deux défaut : « Il est construit en plusieurs morceaux par différents chantiers navals, ce qui rend son coût de revient supérieur de 30 à 40 % à celui de la fabrication dans un chantier français. En outre, il nécessiterait entre un milliard et un milliard et demi d'euros de modifications, notamment l'adaptation d'une partie de la coque pour installer des catapultes ». En clair, l'acquisition et la mise aux standards français du Queen Elizabeth représenterait un investissement de plus de 4 milliards d'euros. Or, d'après les estimations de l'amiral, « la construction en France d'un porte-avions complet du même modèle coûterait entre 3 et 3,5 milliards d'euros ». Impensable donc pour les finances de l'Etat en période de crise, mais aussi vis-à-vis des industriels français qui, inquiets d'éventuelles coupes dans d'autres programmes pour financer un tel achat, ont sans doute tout fait pour torpiller le projet. Dans une moindre mesure, l'option Queen Elizabeth se « heurtait » aussi à la problématique de la propulsion. Car, si Jacques Chirac avait opté en 2004 pour une propulsion classique, ouvrant la voie à une coopération avec les Britanniques, son successeur a demandé en 2008 une nouvelle étude afin de déterminer les avantages et les inconvénients de la propulsion nucléaire. Cette étude, qui vient d'être achevée, doit permettre au président de la République de faire un choix sur cette option technique.
Le groupe aéronaval français (© : MARINE NATIONALE)
PA2 : « L'équation budgétaire actuelle ne le permet pas »
Pour beaucoup, la réapparition, en 2008, de la question de la pertinence de la propulsion nucléaire pour le prochain porte-avions français n'était d'ailleurs qu'un leurre, destiné à reporter une nouvelle fois le dossier « PA2 », très sensible politiquement. Toujours est-il qu'à l'époque, Nicolas Sarkozy a renvoyé à 2011/2012 la décision de réaliser, ou non, le second porte-avions français. Cette année, la situation économique n'a laissé aucune latitude à ce sujet et en 2012, année d'élection présidentielle, il est fort peu probable que le dossier progresse. D'autant que, malheureusement, le contexte budgétaire n'aura sans doute pas évolué favorablement. « Un deuxième porte-avions serait le bienvenu mais l'équation budgétaire actuelle ne le permet pas », a confié le CEMA aux députés.
Alors que DCNS et STX France ont travaillé sur un nouveau design de porte-avions, dévoilé fin 2010, le projet est donc au point mort. Et, sauf miracle, ce devrait être le cas encore un bon moment, la priorité étant pour les industriels et les militaires de sécuriser les programmes actuels, notamment les frégates FREMM et sous-marins Barracuda pour la marine, dont les livraisons s'échelonnent respectivement jusqu'en 2022 et 2027.
En attendant une éventuelle embellie sur le dossier PA2, l'heure est plutôt, côté porte-avions, à la préparation du deuxième arrêt technique majeur du Charles de Gaulle, qui interviendra en 2016/2017. Très lourd, ce chantier de modernisation et de rechargement des coeurs nucléaires du bâtiment va très vite peser dans le budget. En effet, les approvisionnements à long terme ont nécessité d'inscrire une ligne budgétaire dès 2012, et ce sera le cas jusqu'à la fin du prochain arrêt technique.
Le Charles de Gaulle (© : MARINE NATIONALE)