Le Charles de Gaulle rentrant à Toulon, le 9 février (avant son immobilisation) crédits : JEAN-LOUIS VENNE |
03/04/2009
C'est Hervé Morin, ministre de la Défense, qui a fini, hier, par l'annoncer. Victime d'un problème sur son appareil propulsif, le porte-avions Charles de Gaulle restera, au moins, 4 à 6 mois à quai. Mais cette durée n'est qu'une estimation et l'immobilisation du porte-avions français pourrait, dans le pire des cas, être plus longue. Les ingénieurs de DCNS et ceux de la marine ne sont, en effet, toujours pas parvenus à déterminer, avec certitude, les causes exactes de l'usure anormale de deux pièces mécaniques d'entraînement des lignes d'arbres. Or, si de nouvelles pièces seraient d'ores et déjà commandées, il faut, avant de les installer, savoir ce qui a conduit à la dégradation de leurs aînées. Sinon, elles risquent fort de s'user aussi rapidement, voire même plus vite. Pour les non-initiés, l'absence, à ce jour, d'un diagnostic précis peut paraître étonnante. La fine fleur de l'ingénierie française serait-elle incapable, au bout de trois semaines, de résoudre une simple panne mécanique ? Le raccourci serait trop facile, tant le système propulsif du porte-avions nucléaire français est, par définition, complexe. Il ne s'agit pas d'ouvrir un capot de voiture produite en série et de se fier aux quelques indications du livret constructeur. Dans le cas du Charles de Gaulle, c'est un ensemble de haute technologie, avec de la mécanique de grande précision, qui parvient, en respectant les contraintes militaires (résistance aux chocs, discrétion acoustique...), à faire avancer une masse de 42.500 tonnes à plus de 40 km/h. Et, il n'est pas inutile de le rappeler, ce bâtiment reste un prototype, unique en son genre. La tâche est donc ardue, même pour des spécialistes chevronnés comme ceux de DCNS et du Service de Soutien de la Flotte.
La plus difficile semblait pourtant passé
Pour les militaires comme les équipes de l'industriel, l'année 2008 s'était pourtant bien terminée et l'année 2009 s'annonçait prometteuse, avec la remontée en puissance rapide du groupe aéronaval. Tous étaient satisfaits et même fiers d'avoir mené à bien un défi aussi complexe que la première Indisponibilité Périodique pour Entretien et Réparations (IPER). Quinze mois de chantier, 11.000 lignes de travaux et 200 équipements majeurs à traiter, dont le rechargement des deux coeurs nucléaires du navire. Le tout a été réalisé dans les temps impartis et sans problème majeur. Des systèmes électroniques à la propulsion en passant par les installations aviation, les catapultes, les presses de frein, les soutes à munition, les radars ou l'armement... L'IPER a représenté un chantier colossal, d'un coût de 300 millions d'euros. Elle a mobilisé 1600 personnes, dont 600 salariés de DCNS et de ses sous-traitants. A l'issue de l'arrêt technique, les essais en mer s'étaient révélés satisfaisants, le Charles de Gaulle atteignant la vitesse de 27 noeuds grâce à l'installation de deux nouvelles hélices pendant le passage en cale sèche.
Des hypothèses qui conduisent... à d'autres hypothèses
Mais, fin février, alors que les difficultés, prévisibles compte tenu de l'ampleur du chantier, avaient été surmontées, des vibrations anormales sont constatées dans les machines. Après investigation, une usure anormale de deux pièces d'accouplement, reliant deux des quatre turbines à leurs lignes d'arbres, est décelée. Le 13 mars, le chef d'Etat-major de la marine n'a d'autre choix que d'annoncer la suspension du programme d'activité à la mer du CDG. Depuis, les spécialistes tentent de comprendre. Les hypothèses les plus simples et « logiques » ont d'abord été passées en revue. Les ingénieurs ont bien évidemment planché sur l'incidence des nouvelles hélices et sur les conséquences de l'alourdissement du navire pendant sa construction. Initialement, le Charles de Gaulle devait afficher un déplacement de 36.000 tonnes en charge. Mais, notamment à cause du renforcement de la législation sur la sécurité nucléaire, le poids du bâtiment est passé à 42.000 tonnes. Les machines ne pouvant développer plus de puissance, pour atteindre la même vitesse, il a, notamment, fallu jouer sur le dessin des hélices. D'où la réalisation de deux hélices au design très complexe, que l'industriel français chargé de fabriquer fournira avec des défauts. On connaît la suite : Fin 2000, lors de sa traversée de longue durée, le CDG sera confronté à la rupture d'une pale. D'autre part, plus de poids signifie plus de couple moteur et donc une contrainte plus importante sur les matériels. Reste que, pendant les 200 jours d'essais qu'a connu le Charles de Gaulle dans ces conditions et avec le design des hélices actuelles, aucun signe de fatigue comme ceux rencontrés dernièrement n'a été décelé sur les équipements aujourd'hui incriminés. A eux seuls, l'alourdissement et les hélices ne semblent donc pas justifier le problème. Ce serait, malheureusement, trop simple. A ce jour, on indique que toutes les « hypothèses restent ouvertes » et que « toutes les pistes sont explorées pour comprendre ce qui se passe ». Les analyses portent sur l'entretien des matériels, leur structure, leur mise en place ou encore leur fonctionnement. Des montagnes de données doivent être épluchées, vérifiées et confrontées. En somme, un travail de fourmi.
Le groupe aérien embarqué de nouveau privé de plateforme
Faute de second porte-avions - dont le but, faut-il encore le rappeler, est d'assurer la permanence du groupe aéronaval pendant les indisponibilités du Charles de Gaulle - les pilotes de l'aéronautique navale avaient déjà été privés, pendant un an et demi, de leur unique bateau. Fin 2008, ils avaient retrouvé le pont du CDG pour se ré-entrainer aux manoeuvres d'appontage et de catapultage. Assez rapidement, Rafale, Super Etendard Modernisés et Hawkeye avaient retrouvé leurs marques. Fin février, en cas de crise, le porte-avions et son groupe aérien embarqué étaient aptes à être déployés. La marine souhaitait, néanmoins, poursuivre et approfondir les entrainements, afin que le bâtiment, son état-major embarqué, le GAE et l'ensemble du groupe aéronaval (qui comprend également frégates, sous-marin et ravitailleur) puisse s'aguerrir. De retour à Toulon fin février, après avoir achevé la période de qualification des pilotes, le navire devait reprendre la mer ce mois-ci pour débuter une campagne de la plus haute importance. Au printemps, les jeunes pilotes, qui n'ont jamais, encore, apponté sur le Charles de Gaulle, devaient commencer leur entrainement. Or, la formation de ce « vivier » est capitale pour la marine, car elle permet le renouvellement, l'entretien et la transmission des compétences au sein des flottilles. Déjà, durant l'IPER, une vingtaine de jeunes pilotes était en attente. Si l'immobilisation du Charles de Gaulle s'éternise, il risque donc d'y avoir, d'une part, « embouteillage » au niveau des jeunes, et tarissement du potentiel chez les pilotes les plus rodés.
Symbole de la puissance militaire française
Avec la réussite de l'IPER, la Marine nationale et DCNS espéraient effacer les innombrables critiques dont le bateau a fait l'objet à ses débuts. Avec le recul, on peut même considérer que le CDG a fait l'objet d'un véritable acharnement médiatique, plutôt injuste au regard du challenge qu'a représenté sa conception, sa réalisation et sa mise au point. A l'époque, la presse n'avait, apparemment, pas mesuré le tour de force technique et technologique que les Brestois venaient de signer. En dehors des Etats-Unis, la France est devenue, avec le Charles de Gaulle, la seule nation à posséder une arme de cette importance. Aérodrome flottant à l'autonomie quasi-illimitée grâce à sa propulsion nucléaire, arsenal capable de parcourir 1000 kilomètres par jour en profitant de la liberté de navigation, outil politique majeur mais aussi de dissuasion car capable de délivrer l'arme nucléaire grâce à son aviation embarquée... Le Charles de Gaulle est, en réalité, le symbole « apparent » (en parallèle des sous-marins nucléaires, par définition « invisibles ») de la puissance militaire - et par extension politique - de notre pays. C'est peut être pourquoi, au regard de ce qu'il représente, les media et la population ne tolèrent aucune « faille » dans le système. Il y a peut être là, plus ou moins consciemment, une notion de fierté nationale. Ce bateau représente la France et doit fonctionner. C'est un impératif et l'erreur n'est pas permise. Dans d'autres cas, les attaques faites au porte-avions sont, sans doute aussi, une manière pour certains courants de railler l'Etat, ou l'institution militaire.
Le traumatisme des premières années
Alors qu'on demande rarement aux constructeurs automobiles combien de prototypes se sont crashés avant de lancer une production en série, le Charles de Gaulle, pièce unique et rassemblant le meilleur des technologies de l'époque, a naturellement subi, après son achèvement, une longue période de rodage et diverses avaries pendant sa mise au point. En 1999, les essais sont suivis à la loupe par les media, qui ne manquent pas de monter en épingle le moindre problème. Cette période a, d'ailleurs, été vécue comme un véritable traumatisme par nombre de marins.
Des avaries de la première sortie en mer à la piste oblique que la marine décide de rallonger, la « série noire » aura pour point culminant la rupture d'une pale d'hélice, au large des Antilles, dans la nuit du 9 au 10 novembre 2000. Le bâtiment rentre à Toulon et, après expertise, les hélices se révèlent défectueuses. En attendant la livraison d'un nouveau jeu, qui prendra plusieurs années, les hélices de rechange des porte-avions Foch et Clemenceau sont montées sur le Charles de Gaulle.
Un sans faute depuis 2001
Reprenant la mer en mars 2001, le bâtiment atteint la vitesse de 25 noeuds, soit 2 noeuds de moins que sa vitesse maximale contractuelle. Cette allure est néanmoins suffisante pour la mise en oeuvre des premiers Rafale (F1), des SEM et des Hawkeye. Admis au service actif au mois de mai, après des années à subir des critiques incessantes, le porte-avions ne connaitra plus de problème majeur. Dès la fin 2001, il est dépêché en océan Indien pour participer à l'opération Enduring Freedom, qui verra le renversement du régime taliban en Afghanistan. Suivront cinq années durant lesquelles le Charles de Gaulle réalisera l'équivalent de 12 tours du monde. Déployé en Atlantique en 2005, on le trouve en 2004, 2006 et 2007 en océan Indien, où son groupe aérien participe à l'appui des troupes alliées engagées en Afghanistan. Loin des caméras, au milieu du jeu complexe de la dissuasion et de la démonstration de force, il s'avère être un outil politique et militaire précieux pour la France. L'une de ses arrivées à Djibouti a notamment permis de calmer les velléités des voisins du petit Etat africain, point d'appui stratégique essentiel pour la France. Toujours en océan Indien, lors de l'une des crises liées au nucléaire iranien, sa présence au large des côtes iraniennes, en compagnie d'un groupe aéronaval américain, a sans nul doute joué un rôle important dans le retour de Téhéran à la table des négociations. Pas toujours visible ou mesurable, l'impact d'un tel outil peut être considérable. Par sa puissance et sa liberté de mouvement, c'est en tous cas l'expression de la volonté politique d'un pays. « Il y a ceux qui ont des porte-avions et ceux qui n'en ont pas », résume un amiral à la retraite.
OTAN : La France réintègre le commandement intégré sans porte-avions
La puissance et l'autonomie du porte-avions en font aujourd'hui le principal outil de projection de puissance de la France. Depuis 2001, le Charles de Gaulle a fait la preuve de ses capacités et l'US Navy, comme la Royal Navy, ont a plusieurs reprises saluées ses performances. Aux Etats-Unis, où les porte-avions ont un rôle stratégique majeur, la découverte qu'un autre pays pouvait mettre en oeuvre un tel outil fut une surprise. Alors que le Charles de Gaulle et ses homologues américains ont réalisé de nombreuses manoeuvres en commun ces dernières années, les relations se sont approfondies en 2007 et 2008. Après avoir réalisé leurs premiers appontages et catapultages sur l'USS Enterprise, les Rafale de l'aéronautique navale ont renouvelé l'expérience, en mai dernier, sur l'USS Harry S. Truman. Véritable marque de confiance et de respect, la Navy a même accepté, pour la première fois, que des appareils étrangers soient basés plusieurs jours sur l'un de ses bâtiments. C'était en juillet dernier, au large de Norfolk, sur l'USS Theodore Roosevelt. Les Américains se sont dits très satisfaits de ce déploiement et ont félicité les Français pour leur parfaite intégration à l'équipage et aux escadrons de la Navy.
Ces liens créés et l'interopérabilité des moyens étaient donc de bon augure en vue d'un prochain déploiement du Charles de Gaulle, mission que nombre d'observateurs imaginaient déjà dans la région de l'océan Indien et du golfe Persique. De plus, c'est avec le plus puissant bâtiment de combat d'Europe, de nouveau opérationnel, que la France s'apprêtait à « regagner » l'OTAN en pleine possession de ses principaux moyens militaires.
Mais c'était sans compter avec ce « bateau rebelle » qui a décidé, pour on ne sait encore quelle raison, de célébrer à sa manière le retour de la France dans le commandement intégré de l'OTAN. Quarante-trois ans après que le Général en eut claqué la porte, le Charles de Gaulle refuse, obstinément, de livrer la cause de ses maux. « Esprit es-tu là ? » diraient certains. « Si oui, donne-nous des réponses » répondraient sans doute ingénieurs et techniciens...
La plus difficile semblait pourtant passé
Pour les militaires comme les équipes de l'industriel, l'année 2008 s'était pourtant bien terminée et l'année 2009 s'annonçait prometteuse, avec la remontée en puissance rapide du groupe aéronaval. Tous étaient satisfaits et même fiers d'avoir mené à bien un défi aussi complexe que la première Indisponibilité Périodique pour Entretien et Réparations (IPER). Quinze mois de chantier, 11.000 lignes de travaux et 200 équipements majeurs à traiter, dont le rechargement des deux coeurs nucléaires du navire. Le tout a été réalisé dans les temps impartis et sans problème majeur. Des systèmes électroniques à la propulsion en passant par les installations aviation, les catapultes, les presses de frein, les soutes à munition, les radars ou l'armement... L'IPER a représenté un chantier colossal, d'un coût de 300 millions d'euros. Elle a mobilisé 1600 personnes, dont 600 salariés de DCNS et de ses sous-traitants. A l'issue de l'arrêt technique, les essais en mer s'étaient révélés satisfaisants, le Charles de Gaulle atteignant la vitesse de 27 noeuds grâce à l'installation de deux nouvelles hélices pendant le passage en cale sèche.
Des hypothèses qui conduisent... à d'autres hypothèses
Mais, fin février, alors que les difficultés, prévisibles compte tenu de l'ampleur du chantier, avaient été surmontées, des vibrations anormales sont constatées dans les machines. Après investigation, une usure anormale de deux pièces d'accouplement, reliant deux des quatre turbines à leurs lignes d'arbres, est décelée. Le 13 mars, le chef d'Etat-major de la marine n'a d'autre choix que d'annoncer la suspension du programme d'activité à la mer du CDG. Depuis, les spécialistes tentent de comprendre. Les hypothèses les plus simples et « logiques » ont d'abord été passées en revue. Les ingénieurs ont bien évidemment planché sur l'incidence des nouvelles hélices et sur les conséquences de l'alourdissement du navire pendant sa construction. Initialement, le Charles de Gaulle devait afficher un déplacement de 36.000 tonnes en charge. Mais, notamment à cause du renforcement de la législation sur la sécurité nucléaire, le poids du bâtiment est passé à 42.000 tonnes. Les machines ne pouvant développer plus de puissance, pour atteindre la même vitesse, il a, notamment, fallu jouer sur le dessin des hélices. D'où la réalisation de deux hélices au design très complexe, que l'industriel français chargé de fabriquer fournira avec des défauts. On connaît la suite : Fin 2000, lors de sa traversée de longue durée, le CDG sera confronté à la rupture d'une pale. D'autre part, plus de poids signifie plus de couple moteur et donc une contrainte plus importante sur les matériels. Reste que, pendant les 200 jours d'essais qu'a connu le Charles de Gaulle dans ces conditions et avec le design des hélices actuelles, aucun signe de fatigue comme ceux rencontrés dernièrement n'a été décelé sur les équipements aujourd'hui incriminés. A eux seuls, l'alourdissement et les hélices ne semblent donc pas justifier le problème. Ce serait, malheureusement, trop simple. A ce jour, on indique que toutes les « hypothèses restent ouvertes » et que « toutes les pistes sont explorées pour comprendre ce qui se passe ». Les analyses portent sur l'entretien des matériels, leur structure, leur mise en place ou encore leur fonctionnement. Des montagnes de données doivent être épluchées, vérifiées et confrontées. En somme, un travail de fourmi.
Le groupe aérien embarqué de nouveau privé de plateforme
Faute de second porte-avions - dont le but, faut-il encore le rappeler, est d'assurer la permanence du groupe aéronaval pendant les indisponibilités du Charles de Gaulle - les pilotes de l'aéronautique navale avaient déjà été privés, pendant un an et demi, de leur unique bateau. Fin 2008, ils avaient retrouvé le pont du CDG pour se ré-entrainer aux manoeuvres d'appontage et de catapultage. Assez rapidement, Rafale, Super Etendard Modernisés et Hawkeye avaient retrouvé leurs marques. Fin février, en cas de crise, le porte-avions et son groupe aérien embarqué étaient aptes à être déployés. La marine souhaitait, néanmoins, poursuivre et approfondir les entrainements, afin que le bâtiment, son état-major embarqué, le GAE et l'ensemble du groupe aéronaval (qui comprend également frégates, sous-marin et ravitailleur) puisse s'aguerrir. De retour à Toulon fin février, après avoir achevé la période de qualification des pilotes, le navire devait reprendre la mer ce mois-ci pour débuter une campagne de la plus haute importance. Au printemps, les jeunes pilotes, qui n'ont jamais, encore, apponté sur le Charles de Gaulle, devaient commencer leur entrainement. Or, la formation de ce « vivier » est capitale pour la marine, car elle permet le renouvellement, l'entretien et la transmission des compétences au sein des flottilles. Déjà, durant l'IPER, une vingtaine de jeunes pilotes était en attente. Si l'immobilisation du Charles de Gaulle s'éternise, il risque donc d'y avoir, d'une part, « embouteillage » au niveau des jeunes, et tarissement du potentiel chez les pilotes les plus rodés.
Symbole de la puissance militaire française
Avec la réussite de l'IPER, la Marine nationale et DCNS espéraient effacer les innombrables critiques dont le bateau a fait l'objet à ses débuts. Avec le recul, on peut même considérer que le CDG a fait l'objet d'un véritable acharnement médiatique, plutôt injuste au regard du challenge qu'a représenté sa conception, sa réalisation et sa mise au point. A l'époque, la presse n'avait, apparemment, pas mesuré le tour de force technique et technologique que les Brestois venaient de signer. En dehors des Etats-Unis, la France est devenue, avec le Charles de Gaulle, la seule nation à posséder une arme de cette importance. Aérodrome flottant à l'autonomie quasi-illimitée grâce à sa propulsion nucléaire, arsenal capable de parcourir 1000 kilomètres par jour en profitant de la liberté de navigation, outil politique majeur mais aussi de dissuasion car capable de délivrer l'arme nucléaire grâce à son aviation embarquée... Le Charles de Gaulle est, en réalité, le symbole « apparent » (en parallèle des sous-marins nucléaires, par définition « invisibles ») de la puissance militaire - et par extension politique - de notre pays. C'est peut être pourquoi, au regard de ce qu'il représente, les media et la population ne tolèrent aucune « faille » dans le système. Il y a peut être là, plus ou moins consciemment, une notion de fierté nationale. Ce bateau représente la France et doit fonctionner. C'est un impératif et l'erreur n'est pas permise. Dans d'autres cas, les attaques faites au porte-avions sont, sans doute aussi, une manière pour certains courants de railler l'Etat, ou l'institution militaire.
Le traumatisme des premières années
Alors qu'on demande rarement aux constructeurs automobiles combien de prototypes se sont crashés avant de lancer une production en série, le Charles de Gaulle, pièce unique et rassemblant le meilleur des technologies de l'époque, a naturellement subi, après son achèvement, une longue période de rodage et diverses avaries pendant sa mise au point. En 1999, les essais sont suivis à la loupe par les media, qui ne manquent pas de monter en épingle le moindre problème. Cette période a, d'ailleurs, été vécue comme un véritable traumatisme par nombre de marins.
Des avaries de la première sortie en mer à la piste oblique que la marine décide de rallonger, la « série noire » aura pour point culminant la rupture d'une pale d'hélice, au large des Antilles, dans la nuit du 9 au 10 novembre 2000. Le bâtiment rentre à Toulon et, après expertise, les hélices se révèlent défectueuses. En attendant la livraison d'un nouveau jeu, qui prendra plusieurs années, les hélices de rechange des porte-avions Foch et Clemenceau sont montées sur le Charles de Gaulle.
Un sans faute depuis 2001
Reprenant la mer en mars 2001, le bâtiment atteint la vitesse de 25 noeuds, soit 2 noeuds de moins que sa vitesse maximale contractuelle. Cette allure est néanmoins suffisante pour la mise en oeuvre des premiers Rafale (F1), des SEM et des Hawkeye. Admis au service actif au mois de mai, après des années à subir des critiques incessantes, le porte-avions ne connaitra plus de problème majeur. Dès la fin 2001, il est dépêché en océan Indien pour participer à l'opération Enduring Freedom, qui verra le renversement du régime taliban en Afghanistan. Suivront cinq années durant lesquelles le Charles de Gaulle réalisera l'équivalent de 12 tours du monde. Déployé en Atlantique en 2005, on le trouve en 2004, 2006 et 2007 en océan Indien, où son groupe aérien participe à l'appui des troupes alliées engagées en Afghanistan. Loin des caméras, au milieu du jeu complexe de la dissuasion et de la démonstration de force, il s'avère être un outil politique et militaire précieux pour la France. L'une de ses arrivées à Djibouti a notamment permis de calmer les velléités des voisins du petit Etat africain, point d'appui stratégique essentiel pour la France. Toujours en océan Indien, lors de l'une des crises liées au nucléaire iranien, sa présence au large des côtes iraniennes, en compagnie d'un groupe aéronaval américain, a sans nul doute joué un rôle important dans le retour de Téhéran à la table des négociations. Pas toujours visible ou mesurable, l'impact d'un tel outil peut être considérable. Par sa puissance et sa liberté de mouvement, c'est en tous cas l'expression de la volonté politique d'un pays. « Il y a ceux qui ont des porte-avions et ceux qui n'en ont pas », résume un amiral à la retraite.
OTAN : La France réintègre le commandement intégré sans porte-avions
La puissance et l'autonomie du porte-avions en font aujourd'hui le principal outil de projection de puissance de la France. Depuis 2001, le Charles de Gaulle a fait la preuve de ses capacités et l'US Navy, comme la Royal Navy, ont a plusieurs reprises saluées ses performances. Aux Etats-Unis, où les porte-avions ont un rôle stratégique majeur, la découverte qu'un autre pays pouvait mettre en oeuvre un tel outil fut une surprise. Alors que le Charles de Gaulle et ses homologues américains ont réalisé de nombreuses manoeuvres en commun ces dernières années, les relations se sont approfondies en 2007 et 2008. Après avoir réalisé leurs premiers appontages et catapultages sur l'USS Enterprise, les Rafale de l'aéronautique navale ont renouvelé l'expérience, en mai dernier, sur l'USS Harry S. Truman. Véritable marque de confiance et de respect, la Navy a même accepté, pour la première fois, que des appareils étrangers soient basés plusieurs jours sur l'un de ses bâtiments. C'était en juillet dernier, au large de Norfolk, sur l'USS Theodore Roosevelt. Les Américains se sont dits très satisfaits de ce déploiement et ont félicité les Français pour leur parfaite intégration à l'équipage et aux escadrons de la Navy.
Ces liens créés et l'interopérabilité des moyens étaient donc de bon augure en vue d'un prochain déploiement du Charles de Gaulle, mission que nombre d'observateurs imaginaient déjà dans la région de l'océan Indien et du golfe Persique. De plus, c'est avec le plus puissant bâtiment de combat d'Europe, de nouveau opérationnel, que la France s'apprêtait à « regagner » l'OTAN en pleine possession de ses principaux moyens militaires.
Mais c'était sans compter avec ce « bateau rebelle » qui a décidé, pour on ne sait encore quelle raison, de célébrer à sa manière le retour de la France dans le commandement intégré de l'OTAN. Quarante-trois ans après que le Général en eut claqué la porte, le Charles de Gaulle refuse, obstinément, de livrer la cause de ses maux. « Esprit es-tu là ? » diraient certains. « Si oui, donne-nous des réponses » répondraient sans doute ingénieurs et techniciens...