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05/08/2005
Ce projet, qui doit structurer l'activité de DCN au cours des 10 prochaines années, est attendu avec impatience. Fruit d'une étroite collaboration avec Rome, le programme franco-italien FREMM porte sur 27 navires (17 pour la Marine nationale et 10 pour la Marina militare). Prévu pour être lancé fin 2003, il accuse un retard de deux ans, à cause des problèmes de financement rencontrés successivement par les deux pays (voir plus bas). Une première commande a toutefois été passée le 16 novembre. Elle porte sur 8 bâtiments, livrables entre 2011 et 2015. Deux tranches conditionnelles de quatre et cinq bateaux sont prévues en 2011 et 2013.
Bâtiments modulaires et polyvalents, les frégates multi-missions ont bénéficié de l'expérience acquise en terme d'architecture navale sur les La Fayette. Ces navires, lancés au début des années 90, furent les premiers grands bâtiments de surface à présenter des formes furtives (superstructures et coque inclinées à 10°, mâts pleins, rideaux devant les embarcations, suppression des ouvertures et utilisation de matériaux composites verre/résine absorbant les ondes radars). Les FREMM utilisent elles aussi ces méthodes éprouvées pour diminuer leur signature radar, mais elles pourraient aller plus loin. Avec ces navires, la marine française inaugurera peut-être la « mâture intégrée ». Ce nouveau concept doit équiper les frégates des tranches optionnelles, les 8 premiers bateaux conservant une configuration classique, à deux mâts. A partir de la 9ème unité, l'antenne du radar multifonctions et les aériens des systèmes de communication et de guerre électronique devraient être rassemblés dans un mât unique, de forme conique. La mâture intégrée permet de diminuer les interférences et d'optimiser le fonctionnement des différents capteurs, toujours plus nombreux. Autres avantages, le gain de poids réalisé en diminuant le nombre de mâts et la réduction de la surface équivalente radar. Ces unités furtives peuvent donc évoluer seules dans des zones à risques mais sont plutôt conçus pour naviguer au sein d'une force navale. A cet effet, elles disposent d'un système de communication intégré au système de combat qui leur permet d'agir conjointement avec des forces aéromaritimes et terrestres, dans le cadre d'opérations interarmées et interalliées.
Une plate-forme, deux versions
Le programme FREMM se déclinera en deux séries de navires. La version anti-sous-marine (ASM) et la version action vers la terre (AVT). Pour diminuer les coûts de production, les 17 navires disposeront de la même plate-forme propulsée, des mêmes équipements radar et sonar, des mêmes installations aéronautiques, d'un système de direction de combat identique, des mêmes moyens d'autodéfense et du même armement. Ce dernier comprendra un lanceur Sylver A 70 (16 cellules pour Scalp Naval), un lancer Sylver A 43 (16 cellules missiles Aster 15), 8 missiles antinavires MM 40 Exocet Block III, une tourelle de 76 mm OTO-Melara compact et quatre tubes pour torpilles légères MU 90. A partir de ce socle commun, chaque version sera équipée de moyens spécifiques. La tête de série, qui doit être mise sur cale à Lorient en 2006, sera la première des 8 frégates à vocation ASM. Dans cette configuration, les navires recevront un sonar remorqué ATBF / ETBF (CAPTAS UMS 4249), un total de 19 torpilles MU 90 et deux hélicoptère NH 90 de lutte anti-sous-marine.
La seconde version, celle destinée à l'appui feu vers la terre (AVT), comprendra 9 bâtiments. Pour la marine française, ces frégates sont d'une importance cruciale. Premières unités conçues pour l'engagement terrestre depuis la mer, elles seront dotées d'un NH 90 en version transport (la place du second appareil dans le hangar étant occupée par des drones), d'un petit radier pour le débarquement rapide de forces spéciales et surtout, du Scalp Naval (dont sera d'ailleurs dotée la version ASM). Ce missile de croisière sera tiré depuis les lanceurs verticaux Sylver. Utilisé actuellement par les Rafales Marine, la version embarquée du Scalp est attendue en 2011. Engin furtif et autonome, le missile de croisière naval (MDCN) est équipé d'un autodirecteur infrarouge et d'un système de navigation en suivi de terrain par recalage altimétrique. Ce dernier, associé au GPS, permet au Scalp de voler à basse altitude. D'un poids de 1300 kg et d'une longueur de 5 mètres, sa portée atteindra 1000 kilomètres (contre 1500 pour le Tomahawk américain). Cet outil précieux, qui a révolutionné la stratégie d'action aéromaritime pendant la première guerre du Golfe, est attendu depuis 15 ans par la marine. Grâce au MDCN, elle pourra, à l'instar de ses alliées américaines et britanniques, frapper en profondeur sans recours à l'aviation, bien que la portée du missile européen soit moins importante que celle de son équivalent utilisé par l'US Navy et la Royal Navy.
L'artillerie est-elle la meilleure ?
Si les FREMM s'annoncent comme d'excellents navires, une question se pose toutefois pour l'artillerie de la version AVT. On parle d'une pièce de 127mm, mais le 76mm sera peut être commun à toutes les frégates, pour diminuer les coûts. Si c'est le cas, la France laissera passer l'occasion de renouer avec les gros calibres, alors que l'obus, délaissé depuis l'avènement du missile, fait un retour fracassant chez les stratèges d'Outre Atlantique. Il faut dire que le prix exorbitant d'un missile de croisière incite à trouver des moyens de substitution pour traiter les objectifs relativement proches de la côte. Avec l'AGS (Advanced Gun System), la marine américaine met au point une tourelle de 155 mm, dont les projectiles sont capables d'atteindre, avec une grande précision, des buts situés à près de 200 kilomètres. Selon un officier artilleur français, « Si le calibre de 76 mm est retenu pour les FREMM, il ne sera pas le plus approprié. Seul, il est trop lourd pour repousser une salve de missiles et trop faible pour tirer efficacement vers la terre ». Au début des années 2000, il semble que l'Etat major de la marine avait pris en compte ce problème et la possible évolution du rôle de l'artillerie. GIAT avait alors lancé des études en vue de réaliser un canon navalisé de 155 mm. Le projet restera sans suite et c'est l'artillerie italienne qui a été choisie pour ce programme en coopération. Pour l'heure, les maquettes et images de synthèse présentant les FREMM, montrent un canon OTO-Melara compact de 76 mm (portée 17 km). Il est toutefois prévu de pouvoir installer une pièce de 127 mm sur la version AVT et une nouvelle génération de projectiles est à l'étude en Italie. C'est le cas de la munition Vulcano (127mm). Sa portée atteindrait 70 km mais elle nécessiterait d'allonger le canon à 64 calibres et de porter le poids de la tourelle à 26 tonnes ! Le Vulcano II, qui suivrait, pourrait atteindre quant à lui 116 km. A noter qu'une nouvelle munition de 76 mm est également envisagée. Il s'agirait d'un obus guidé, susceptible d'atteindre 40 km. En revanche, l'idée d'embarquer une pièce de 155 mm sur les FREMM n'est aujourd'hui plus possible techniquement, en raison de son poids : 34 tonnes contre 5,5 tonnes pour le 76. L'essentiel de la tactique de frappe réside donc dans le Scalp, même si la capacité d'emport des frégates reste faible (16 silos uniquement). Cette état de fait ne semble toutefois pas poser de grandes interrogations. Les opérations militaires sont désormais menées en coopération internationale et la facture des missiles de croisières est suffisamment limitatrice par elle-même.
Comment payer ces navires ?
La volonté de rapprochement de la France et de l'Italie autour des frégates multi-missions marque un pas important dans la construction de l'Europe de la défense. C'est un partenariat politique et surtout budgétaire puisqu'en construisant les mêmes navires, les deux pays bénéficient d'importantes économies d'échelle. Avec une cadence de construction de 3 bâtiments tous les deux ans, DCN a réduit la facture à 280 millions d'euros l'unité, contre 400 millions dans le devis initial. Les états majors ont également insisté auprès des industriels pour que les navires soient le plus économique possible. « Les FREMM disposeront d'un taux de disponibilité inégalé dans la marine. Grâce aux avancées technologiques, nous avons réduit les coûts de possession (entretien, personnel... ndlr) au minimum. C'est particulièrement marquant pour l'équipage qui ne comprendra que 108 hommes contre 200 pour les frégates de l'ancienne génération », explique Philippe Logier, responsable du Pôle Système de Combat à DCN. Cet ancien commandant d'aviso pense même que l'équipage des FREMM pouvait encore être réduit d'une douzaine de postes. Malgré l'effort colossal entrepris par l'industriel en termes de coûts, l'hiver 2004/2005 a été marqué par l'omniprésence des problèmes de financement. Alors qu'à Rome, on éprouvait les pires peines du monde trouver l'argent nécessaire au lancement du programme, l'anxiété gagnait la France le 27 janvier. Ce jour là, le ministère de la défense annonçait que l'Etat abandonnait la solution du financement innovant. Cette formule, préconisée par Michèle Alliot-Marie au salon Euronaval 2004, avait été imaginée pour s'affranchir des aléas budgétaires, bête noire des programmes d'armement. Pour mieux comprendre, un petit saut dans le passé s'impose. La première ébauche budgétaire remonte à l'hiver 2003. Les stratèges financiers de la rue Saint Dominique avaient alors lancé un appel d'offre auprès des banques avec l'intitulé « location opérationnelle ». En clair, les FREMM étaient achetées en leasing et le temps du remboursement, les établissements bancaires en devenaient propriétaires. La perspective d'une telle opération, ébruitée le 26 décembre par la presse, entraîna une levée de boucliers de certains syndicats qui dénoncèrent : « Les armes aux mains des banquiers ! ». S'il est vrai que ce système n'était guère reluisant pour la France, puisqu'il démontrait clairement que le pays n'avait plus un sou en poche, il avait au moins l'énorme avantage d'assurer que le programme serait mené à bien et dans les temps (ce qui aurait été « La » grande innovation des cinquante dernières années). Quoiqu'il en soit, l'affaire n'ira pas plus loin puisque la Commission Européenne y opposa finalement son veto.
Echec du financement innovant
A l'automne 2004, le ministère dévoile son plan B, en l'occurrence une « acquisition patrimoniale à paiement différé », un nom barbare pour un système très simple: Un consortium de banques et d'industriels achète les navires que l'Etat ne paye qu'au moment de la livraison. Le premier paiement ne serait donc intervenu qu'en 2009 et pendant quatre ans, la marine aurait pu concentrer ses lignes budgétaires à l'avancement des autres grands programmes, comme le deuxième porte-avions ou les sous-marins nucléaires (SNLE NG 4 et SNA type Barracuda). Le problème ne viendra pas cette fois de Bruxelles mais des banques. Estimant les intérêts excessifs, Matignon décida d'abandonner le « financement innovant » pour en revenir au financement classique et à son lot d'incertitudes. Seulement voilà, nous sommes le 27 janvier 2005, une autorisation de programme d'1,7 milliard d'euros existe mais aucun crédit de paiement n'est prévu pour les FREMM dans le budget 2005 (Voir rapport parlementaire sur le budget de la Défense). Quelques semaines après l'assouplissement du pacte de stabilité (permettant aux pays de l'Union de ne pas inclure certaines dépenses « exceptionnelles » dans leur déficit), Bercy accorde finalement une rallonge à la marine.
Le problème du financement étant enfin résolu, le ministère de la Défense fini par passer commande en novembre, après le feu vert de son allié italien, empêtré dans une véritable crise budgétaire. Marins et industriels attendent maintenant de voir si le gouvernement est capable de tenir ses engagements, à savoir la commande de l'ensemble des 17 navires (6,5 milliards d'euros). Pour DCN, l'enjeu est de premier plan. Entreprise de droit privé, elle prépare son rapprochement avec Thales en vue d'un grand mariage de la navale européenne à l'horizon 2008. Pour y parvenir, les anciens arsenaux doivent afficher d'excellents chiffres et pour cela, les contrats doivent être respectés. Peu avant l'été 2005, François Lureau, patron de la délégation générale pour l'armement (DGA), a donné des gages en ce sens : « Je considère que nous avons eu une négociation et nous avons signé un accord. C'est un accord entre industriels et pays acheteurs, donc un engagement qui doit être tenu. Le coût de 280 millions d'euros (par frégate) sera respecté ».
Trois classes de navires à remplacer
A Brest comme à Toulon, ces bâtiments sont attendues, très attendus même. Avec les FREMM, la marine française doit renouveler la quasi-intégralité de ses forces de combat de surface. En tout, trois classes de navires sont amenées à disparaître. Tout d'abord, les frégates anti-sous-marines (ASM) du type Tourville (F 67, 6100 tonnes) et Georges Leygues (F70, 4900 tonnes). Agées de 15 à 30 ans, ces bâtiments sont au nombre de neuf (dont 6 ont plus de 20 ans). Il s'agit également de renouveler les avisos, petits vaisseaux aux qualités nautiques remarquables mais aux capacités limitées. Construits à 17 exemplaires, ces navires de 1250 à 1330 tonnes à pleine charge ont été réceptionnés par la marine entre 1976 et 1984. Huit ont été désarmés entre 1999 et 2002 et vendus, pour six d'entre eux, à la Turquie. La France n'a conservé que les plus récents où les mieux équipés. Sur le papier, les 17 FREMM (76.500 tonnes), remplaceront 18 unités pour un tonnage de 47.130 tonnes. En réalité, ce chiffre ne prend pas en compte les navires désarmés qui n'ont pas été remplacés (les 8 avisos et les frégates ASM Aconit et Duguay Trouin soit 18.000 tonnes de plus). De même, la frégate Georges Leygues, qui devait être retirée du service, a été affectée au Groupe Ecole d'Application. N'ayant pas bénéficié de modernisation, elle n'a conservé que des moyens limités dans son rôle de conserve de la Jeanne d'Arc. Les frégates multi-missions viendront donc se substituer, en réalité, à 28 bâtiments. Il convient alors de nuancer les propos de certains politiques, estimant que la marine est un peu trop gagnante dans cette affaire. Il faut par ailleurs noter que, si le projet FREMM n'est pas mené avec rigueur (délais et nombre de navires prévus), la facture de 280 millions par bateau ne pourra pas être tenue.
Ce dernier argument semble la meilleure garantie dans la mesure où l'Etat, qui a propulsé DCN dans le monde du grand capital, ne peut que difficilement se permettre de fragiliser le plan de charge de l'entreprise. Financièrement parlant, l'entreprise a néanmoins pris ses précautions. Des clauses de dédit sont inclues au contrat du 16 novembre. En cas d'abandon de la coopération ou de tranches optionnelles, l'Etat s'est engagé à revoir le prix initial.
17 ou 19 frégates?
Malgré le financement budgétaire, le programme devrait donc, si la logique est respectée, être mené à bien. Il est même possible qu'une troisième version de ces navires voit le jour. Sans l'avoir officiellement annoncé, la France a visiblement fait une croix sur les troisième et quatrième frégates anti-aériennes de la classe Horizon. Ces navires étaient destinés à remplacer les Cassard et Jean Bart, pour lesquelles la marine ne souhaitait pas s'engager dans une coûteuse refonte à mi-vie (remplacement du système SM-1-MR par des missiles Aster et installation des équipements électroniques correspondants). Avec l'arrivée prévisible d'un second porte-avions à l'horizon 2014, la France doit disposer au minimum de quatre navires anti-aériens. Si les Horizons coûtent trop cher (800 millions d'euros pièce), une solution existe du côté des FREMM, conçues dès l'origine comme des bâtiments modulaires. En juin dernier, un ingénieur proche du dossier nous confirmait que les bureaux d'études avaient planché sur une version anti-aérienne. Cette solution présenterait un double avantage. Disposer de bâtiments performants à moindre coût et développer la gamme FREMM que DCN et Thales espèrent bien vendre à l'export.