Le BCR Somme crédits : MER ET MARINE - YVES MADEC |
05/02/2009
Nous embarquons aujourd'hui à bord d'un outil indispensable à toute flotte océanique. Véritables nounous des navires de combat, les bâtiments de ravitaillement sont au nombre de quatre dans la Marine nationale. De la Méditerranée à l'océan Indien, ces unités accompagnent systématiquement les groupes navals déployés outre-mer. Chargés de la logistique, ils assurent le ravitaillement en combustible, en vivres, en eau, en pièces détachées et en munition du porte-avions et autres frégates... Cette organisation permet aux unités de combat de rester sur les zones d'opérations sans avoir à rentrer au port pour refaire le plein.
Afin de mieux comprendre l'intérêt et le fonctionnement des bateaux de ravitaillement de la marine, nous avons embarqué quelques jours, au début de l'hiver, sur la Somme, alors que le Bâtiment de Commandement et de Ravitaillement (BCR) était déployé au large des côtes libanaises.
La Somme (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Station service itinérante
Mis sur cale en 1985 aux chantiers de la Seyne-sur-Mer, la Somme est entrée en service en 1990. Initialement, le bateau n'était pas destiné à la Marine nationale mais au marché export. On pensait alors que l'Arabie Saoudite, après avoir commandé deux unités dérivées de la Durance, serait intéressée par un troisième pétrolier ravitailleur. Ryad ne donnant pas suite, la France a acquis le bateau, qui est venu compléter les quatre unités de ce type réalisées à Brest. Après la vente de la Durance à l'Argentine, en 1999, seuls quatre navires restent en service dans la marine française. Les trois derniers, les Var, Marne et Somme, sont appelés Bâtiments de Commandement et de Ravitaillement (BCR), alors que la Meuse n'assure qu'une fonction de pétrolier-ravitailleur. Longs de 157.2 mètres pour une largeur de 21.2 mètres et un déplacement de 7800 tonnes (18.000 tonnes à pleine charge), les BCR sont avant tout des stations services itinérantes. Ainsi, leurs soutes peuvent contenir 8400 tonnes de gasoil et 1100 tonnes de carburant aviation. Ce combustible sert aussi bien pour les navires ravitaillés que pour les aéronefs embarqués. Ainsi, même si le porte-avions Charles de Gaulle dispose d'une propulsion nucléaire, il n'échappe pas aux ravitaillements, essentiellement destinés à regarnir les soutes dédiées au carburant de son groupe aérien. Mais les BCR délivrent également d'autres types de marchandises. Ainsi, ils embarquent 250 tonnes d'eau douce, 170 tonnes de vivres, 250 tonnes de rechanges et 170 tonnes de munitions.
Les installations de ravitaillement de la Somme (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Les manches sont soutenues par deux portiques (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Les portiques de la Somme (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Le Latouche-Tréville s'approche pour être ravitaillé (© : MER ET MARINE - ERIC HOURI)
Bord à bord à seulement 35 mètres de distance
En ce mercredi après-midi, alors que le soleil tombe sur la Méditerranée orientale, le Latouche-Tréville manoeuvre à quelques nautiques de la Somme. Après avoir effectué un large virage, la frégate remonte le BCR puis, une fois arrivée à la bonne hauteur, se stabilise à la même vitesse, soit une douzaine de noeuds. Une trentaine de mètres seulement sépare les deux bateaux. Du haut de la Somme, on mesure la difficulté de la manoeuvre. Le ravitailleur mesure 157 mètres, la frégate 139. L'un déplace près de 20.000 tonnes, l'autre 4000, le tout avec une force d'inertie colossale. Au moindre problème, l'abordage serait une menace immédiate et on imagine les dégâts que pourrait engendrer une collision entre les deux navires. La plus grande vigilance est donc de mise. A l'aileron de la passerelle de la Somme, le Lieutenant de Vaisseau Joël Caplain suit la manoeuvre avec attention. « Le ravitaillement à la mer impose de très bien savoir qui fait quoi, aussi bien pour nos équipes à bord que pour celles du navire ravitaillé. Il y a des procédures très précises et nous déroulons une séquence tout en maintenant une surveillance. Avec la navigation de proximité, il y a en effet toujours un risque d'avarie de moteur ou de barre et il faut donc pouvoir se séparer rapidement ». Alors que la frégate navigue sous le contrôle du ravitailleur, une équipe de marins, casqués, s'active sur la plage avant de chaque bateau. Au moyen d'un fusil lance-grappin, ces hommes vont passer une ligne de distance. Parcourue de petits fanions, cette ligne permet de mesurer l'évolution de la distance entre les deux bateaux. L'écart est, d'ailleurs, reporté sur un grand panneau lumineux orienté vers le navire ravitaillé.
Le LV Caplein (© : MER ET MARINE - ERIC HOURI)
A bord de la Somme (© : MER ET MARINE - ERIC HOURI)
Le Latouche-Tréville évolue à une trentaine de mètres (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Le Latouche-Tréville évolue à une trentaine de mètres (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Equipe sur la plage avant du Latouche-Tréville (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Les deux navires bord à bord (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
De 180 à 600 m3 de gasoil par heure
Une fois les deux plateformes parfaitement alignées et filant à la même vitesse, le gréement est passé. Ces câbles soutiennent un gros tuyau noir, appelé « manche », progressivement déployé depuis l'un des portiques de la Somme vers le Latouche-Tréville. Le tuyau connecté, le ravitaillement en combustible peut commencer, le débit pouvant aller de 180 à 600 m3 par heure. Sur chaque côté des deux portiques de la Somme, on distingue trois manches, la plus grosse pour le gasoil et les deux petites pour le carburant aviation (TR5) et l'eau douce. L'opération est gérée depuis le PC Cargaison, sorte de tour de contrôle située au centre de la Somme, entre les deux portiques. Aujourd'hui, c'est le second-maître Diolinda Desmarais, chef de poste, qui est aux commandes. La jeune femme transmet ses ordres d'une voix aussi ferme qu'impressionnante et, derrière elle, on ne « moufte » pas. Seule femme à occuper cette fonction, Diolinda est à la tête d'une équipe de quatre personnes, soit deux « sytaristes », pour la manutention des manches et câbles, et deux treuillistes. « Cela fait deux ans et demi que j'occupe ce poste. C'est un travail intéressant. Il faut notamment être capable de réagir au moindre problème », explique-t-elle. Les manoeuvres sont en effet dangereuses. Pour le Second-Maître Desmarais : « Il y a une attention constante au PC Cargaison pour assurer la sécurité du personnel situé à l'extérieur, sur les plages de ravitaillement. Un câble qui lâche, c'est en effet comme une guillotine. On doit donc veiller à ce que la tension soit constante ».
Passage de la manche (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Passage de la manche (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Le PC Cargaison (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Au PC Cargaison (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Sur la Somme (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Sur la Somme (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
(© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Jusqu'à trois bateaux ravitaillés simultanément
Pour ce ravitaillement à la mer, le Latouche-Tréville vient « biberonner » 100 m3 de gasoil. Comme tout navire de guerre, qui est amené à effectuer des pointes de vitesse pour les besoins de sa mission, la frégate peut consommer un volume important de carburant. En moyenne, sa propulsion engloutit chaque jour entre 15 et 20 m3 de gasoil (soit 15 à 20 tonnes). A titre d'exemple, son autonomie serait de deux jours et demi, à 30 noeuds, sur turbines à gaz, et d'une quinzaine de jours, à une douzaine de noeuds, sur moteurs diesels. N'utilisant jamais l'intégralité de ses stocks, car devant garder des réserves en cas de besoin, le Latouche-Tréville vient non seulement « recompléter » ses soutes à combustible mais aussi remplir ses frigos. Alors que le gasoil est injecté par la manche, dans le même temps, via le second portique de la Somme, des charges lourdes sont transférées. Qu'il s'agisse d'une torpille ou de packs de lait, cette cargaison est directement acheminée par ascenseur, des soutes de la Somme jusqu'aux passes manoeuvre, qui s'étalent au centre du navire et donnent directement accès sur l'extérieur. Dans ces deux larges coursives où l'on trouve de petits véhicules de manutention, les cargaisons sont entreposées avant transfert.
A la porte du passe manoeuvre (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Le passe manoeuvre (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Le passe manoeuvre (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Préparation d'une palette (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Transfert d'une palette (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Transfert d'une palette (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Transfert d'une palette (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Transfert d'une palette (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Transfert d'une palette (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Ainsi, des milliers de litres de gasoil et plusieurs palettes de vivres vont, simultanément, passer d'un bord à l'autre.
Cette fois, le transbordement prendra une grosse demi-heure, mais dans certains cas, la durée des transferts est beaucoup plus longue. D'où la nécessité, pour un navire soutenant une importante force navale, de pouvoir ravitailler plusieurs unités en même temps. « Nous pouvons ravitailler simultanément, en combustible, trois navires, soit un sur chaque bord et un troisième en flèche, c'est-à-dire par l'arrière du bateau. Nous ne pouvons en revanche le faire que pour deux bateaux pour les charges lourdes, qui nécessitent un portique. On utilise l'un ou l'autre des portiques suivant l'emplacement des vannes et la longueur du navire ravitaillé », explique le capitaine de corvette Laurent Baudet, commandant adjoint navire (chef mécanicien) de la Somme. Le ravitaillement en flèche, moins commode, est toutefois peu utilisé, notamment depuis l'entrée en service de nouveaux bâtiments aux formes furtives. « Cela se fait de moins en moins, notamment parceque les bateaux modernes ont des plages avant couvertes. La récupération du matériel est donc plus difficile », précise le major René Riffault.
La Somme et le porte-avions Charles de Gaulle (© : MARINE NATIONALE)
« Indispensables pour agir depuis la mer dans la durée »
Essence, nourriture, eau, munitions... Ce sont donc des marchandises très variées que les BCR vont délivrer aux autres navires. Ils se chargent même de l'enlèvement des poubelles du porte-avions et des frégates, qui ne peuvent très longtemps stocker leurs ordures à bord, faute de place. Deux conteneurs réfrigérés permettent à la Somme d'accueillir l'équivalent d'un mois de mission mais, lorsque ces boites sont utilisées pour vider les poubelles du groupe aéronaval, elles sont pleines en un passage. L'ensemble de ces capacités permet aux unités de combat de se consacrer pleinement à leurs missions, sans se soucier de la logistique. Pendant que celles-ci sont en opérations, le BCR va au port où il recharge ses soutes, prenant soin d'acheter le combustible là où il est meilleur marché (quand cela est possible bien entendu). Ainsi, durant la mission Héraclès au large de l'Afghanistan, en 2002, deux ravitailleurs soutenaient le Charles de Gaulle et son escorte. Pendant que l'un d'eux restait avec la flotte, l'autre faisait la navette vers les points de rechargement. « Les bâtiments de ravitaillement sont indispensables pour agir depuis la mer dans la durée. Si la marine veut continuer à pouvoir déployer longtemps des navires au large des pays sans toucher terre, ce sont ces bateaux qui lui en donnent la capacité. La Somme représente l'équivalent d'un mois d'activité, en toute autonomie, pour le porte-avions. Clairement, ce type de bateaux contribue à la crédibilité du groupe aéronaval », souligne le Capitaine de Frégate Pascal Le Claire, commandant de la Somme.
Le CF Le Claire (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Navire amiral
Comme le Var et la Marne, la Somme dispose d'un bloc passerelle plus développé (8 mètres de longueur en plus) que les deux premiers navires de la série, les Durance et Meuse. Ces locaux supplémentaires permettent de recevoir 45 passagers, soit les logements nécessaires à un état-major embarqué ainsi qu'un Central Opération, un PC Télec et une salle de réunion. Conçus au début des années 80, ces espaces de commandement restent néanmoins exigus et n'ont rien à voir avec les postew de commandement embarqués sur les nouveaux BPC (Bâtiments de Projection et de Commandement) du type Mistral, qui disposent d'un PC de 800 m² pouvant accueillir 150 postes. Malgré tout, les BCR rendent encore les plus grands services pour les missions de commandement. Ainsi, l'un des trois BCR (actuellement le Var) navigue en permanence en océan Indien où il sert de base mobile à l'amiral responsable de cette zone (ALINDIEN). De même, la Somme a servi, fin 2008, de navire amiral à la TF 448, volet naval de la Force Intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL). C'est au cours de cette mission que nous avons embarqué. Le contre-amiral français Alain Hinden était alors à la tête d'un état-major multinational de 35 personnes, comprenant notamment six Italiens, deux Espagnols, un Portugais, un Grec et un Turc.
L'Etat-major de la TF448 sur la Somme (© : MER ET MARINE - ERIC HOURI)
Un bateau de manoeuvriers et de mécaniciens
Sur un BCR, l'ambiance est très différente de celle que l'on peut rencontrer sur un navire de combat. Sur un ravitailleur, on trouve en effet des métiers spécifiques. L'équipage, qui comprend 160 marins, est en grande partie composé de manoeuvriers et de mécaniciens, notamment spécialisés dans l'hydraulique. On compte à bord une forte proportion d'officier-mariniers, qui représentent les deux tiers des effectifs. « Ici, le savoir-faire est plus axé sur les capacités d'encadrement des équipes que sur les connaissances technologiques. Les gens aiment leur métier à bord et les cadres viennent rarement pour la première fois. Ils sont naturellement rompus au bout d'une sorte de parcours initiatique. Ils ont 25 ou 30 ans de carrière et ont déjà embarqué 6 à 8 ans sur ce type de bâtiment. Pour certaines spécialités, comme les manoeuvriers, être chef de manoeuvre sur un ravitailleur, c'est l'aboutissement d'une carrière. Même chose pour ceux qui aiment l'hydraulique. Dans ce cas, être ici c'est le Graal », explique le pacha de la Somme.
Sur le pont de la Somme (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Dans ce monde bien huilé, au milieu des câbles, des pompes et des vérins, on ne fait pas de « chichi » et les relations sont plutôt franches. Entré à l'Ecole des Mousses à l'âge de 16 ans, Pascal Le Claire a franchi patiemment les échelons, jusqu'à devenir commandant de ce bateau. Très accessible, l'officier apprécie tout particulièrement la vie sur ce type de navires. « Il y a un vrai côté humain. On a une population de mécanos et de manoeuvriers qui de mon point de vue est attachante, parcequ'un peu rustique, dans le sens ou le dialogue est franc et que ça reste familial ».
La passerelle de la Somme (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
La vie à bord
Pour l'équipage, la vie à bord d'un bâtiment de ravitaillement a ses avantages. Le premier est l'espace. Sur ce vaste bateau, les marins ont beaucoup plus de place que sur une frégate ou même le porte-avions, où près de 2000 personnes s'entassent dans une coque de 261 mètres de long. Chez les officiers-mariniers, il est même possible d'avoir son propre poste. Tout le monde n'est bien entendu pas logé à la même enseigne mais, dans l'ensemble, les conditions de vie sont présentées comme bonne. Ainsi, au K113, le poste des « Choufs », où ils sont jusqu'à 12 à vivre, deux rangées de trois bannette superposées se font face. Un simple rideau sépare cet espace d'un petit salon, où les hommes passent une partie de leur temps de repos. Entre deux pages d'un magazine, un quartier-maître parle volontiers de la vie à bord. « Cela fait 7 ans que je suis dans la marine. Il y a des règles de vie à respecter et il faut supporter les autres, surtout en fin de mission, où on ne supporte plus grand-chose. On n'a pas les mêmes horaires. Certains dorment pendant que d'autres vivent. Il faut donc éviter de mettre le volume de la télé trop fort ou claquer les portes. Pour un jeune qui arrive et qui ne sait pas ce que c'est de ranger ses affaires, de respecter les autres et de faire son lit, c'est un bon apprentissage ! » Comme sur chaque navire, en dehors de leurs heures de travail, les hommes peuvent se détendre dans les carrés. A la fois salle à manger, bar et salon, l'accès à ces espaces dépend du grade. Ainsi, les officiers se retrouveront entre eux, tout comme les officiers mariniers ou les quartiers-maîtres et matelots. Et quand on n'appartient pas au carré, pas question d'y mettre les pieds, à moins d'y être invité. Cette répartition permet notamment aux marins de parler librement, voire de critiquer leurs supérieurs à l'abri des oreilles indiscrètes. Cette possibilité, qui parait anodine à terre, prend tout son sens après plusieurs mois de mission dans un espace confiné.
Sur la Somme (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Pour ces hommes et femmes, l'une des plus grandes difficultés, en dehors de la promiscuité, reste l'éloignement du foyer. Parfois déployés à des milliers de kilomètres de leur maison, les marins peuvent rester des mois sans voir leurs proches. Heureusement, la technologie a permis de rapprocher les équipages des familles. Deux cabines téléphoniques sont disponibles à bord, les appels étant facturés au tarif local. Des téléphones sont également installés dans certains postes et Internet a littéralement bouleversé la vie embarqué. « Ca aide beaucoup, même si des fois, on est plus facilement au courant des mauvaises nouvelles, ce qui n'est pas forcément mieux puisqu'on est loin et qu'on ne peut pas faire grand-chose », confie un officier-marinier.
Salle de sport sur la Somme (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Etre Marin, c'est du sport
A bord de la Somme, pour se détendre, le sport est également une valeur sûre. Là encore, l'espace offert par le navire est très apprécié. On peut profiter des ponts extérieurs pour le footing et un espace a été aménagé en salle de sport, avec une bonne dizaine de machines. Dans les larges coursives où transitent pendant les manoeuvres les palettes destinées au ravitaillement, il n'est également pas rare de voir accroché un sac sur lequel quelques marins s'offrent une séance de boxe. « Les gens peuvent faire du sport quand ils ne sont pas de quart. Ca permet de se maintenir en forme », explique le maître d'équipage.
Toutes ces activités, encouragées par le commandant, ont pour but de permettre à l'équipage de se défouler. Car, contrairement à ce qu'imaginent les « terriens », la vie sur un navire militaire est très dense et, notamment sur un ravitailleur, très physique. Outre les manoeuvres de transbordement avec d'autres bâtiments, la vie du bord est ponctuée par les quarts. La plupart du personnel travaille par tranche de quatre heures, qui suit quatre heures de repos et en précède quatre autres (ou, si l'on préfère, il n'y a que quatre heures de repos entre deux tranches de travail de quatre heures chacune).
La pièce de 40 mm au cours d'un exercice (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Il faut donc prendre le rythme, notamment au niveau des heures de sommeil, indispensables pour compenser des journées bien remplies. En plus du travail de chacun, des exercices quotidiens sont réalisés afin de maintenir l'entrainement. Il peut s'agir d'exercices de sécurité, où un incendie est simulé à bord, d'exercice de tirs ou bien entendu de ravitaillement. Pour la lutte contre le feu, les cuisiniers se transformeront par exemple en pompiers car, en plus des petits plats, certains remplissent également cette fonction à bord. Il n'est pas non plus rare de voir un maître d'hôtel casqués derrière une mitrailleuse. Comme il n'est pas possible d'avoir un homme pour chaque poste, les marins ont en effet plusieurs métiers. La polyvalence se retrouve jusque dans les coupes de cheveux. En effet, sur la Somme, le coiffeur est boucher-traiteur de formation. Autant dire qu'il est assez réputé pour son coup de ciseaux.
Entretien des pièces de 12.7 mm (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
En dehors des exercices, l'équipage doit, évidemment, assurer en permanence le bon fonctionnement et l'entretien des matériels. Ainsi, alors que certains s'affairent à balayer les coursives, piquer la rouille ou à repeindre la coque, plusieurs hommes sont aujourd'hui occupés à briquer l'artillerie légère. « Tous les 15 jours on démonte les mitrailleuses de 12.7 mm. Nous le faisons aussi pour le canon de 40 mm en profitant des escales. Cet entretien permet d'enlever les poussières et les résidus de poudre, tout en contrôlant l'usure des pièces. C'est important, surtout pour des armes qui sont dehors 24 heures sur 24 », explique le Premier-Maître Burel. On notera qu'en plus de l'artillerie, les moyens d'autodéfense du navire comprennent des systèmes surface-air à très courte portée Simbad, dotés chacun de deux missiles Mistral.
Au PC Propulsion (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
21.000 cv sous la carène
Au fond de la Somme, une longue et raide échelle donne accès aux compartiments des machines. On y trouve notamment deux impressionnants moteurs diesels de 16 cylindres, pièces maîtresses de la propulsion, qui développe plus de 21.000 cv. Dans l'air, l'odeur de l'huile est omniprésente. Il y a aussi le bruit, assourdissant, et la température, qui peut atteindre et même dépasser 35 degrés. Bref, les conditions semblent assez difficiles, ou plutôt le sont pour les visiteurs. Car c'est aussi là que l'on trouve la « crème » des mécanos, équipes aussi passionnées que compétentes, aux petits soins pour ces gros pistons et cet imposant réducteur afin que l'ensemble tourne comme une horloge. « Les jeunes mécaniciens commencent par les extérieurs. On les trouve aux bossoirs, puis à la barre et aux stabilisateurs. Ensuite on les voit au froid, sur les auxiliaires et enfin à la propulsion. Il y a tout un processus de formation qualifiante », explique le capitaine de corvette Baudet. Selon le « chef », les possibilités d'évolution dans ces métiers sont d'ailleurs réelles. « Celui qui le veut peut gravir les échelons. On peut commencer quartier-maître, passer son brevet supérieur et aller jusqu'à maître principal puis, avec le brevet de maîtrise, il y a des passerelles pour devenir officier avec des concours pour intégrer l'Ecole navale ».
Dans les machines (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Comme les autres unités de la flotte, la Somme doit pouvoir se déployer loin et, surtout, longtemps. Autant que possible, les marins éviteront d'avoir recours à l'aide extérieure, notamment pour les problèmes techniques. C'est pourquoi, avant chaque mission, un stock de pièces détachées est embarqué. Le BCR dispose également d'un atelier de réparation et peut compter, au sein de son équipage, sur les compétences de deux soudeurs et un tourneur. « Nous intervenons surtout pour des réparations d'urgence, par exemple pour des problèmes de soudure ou s'il y a besoin de tourner ou usiner une pièce », explique le Second-Maître Joann David, en plein travail dans l'atelier.
L'atelier de la Somme (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Sécurité et installations hospitalières
Usine flottante, la Somme est également confrontée aux mêmes risques qu'une industrie terrestre, dangers aggravés par l'exigüité des locaux et les mouvements de la plateforme en mer. Des équipes de sécurité veillent donc en permanence à l'intégrité du bateau, d'autant que le carburant et les munitions stockées à bord en font une véritable bombe flottante. C'est pourquoi les mesures de sécurité sont très importantes, notamment en matière de lutte contre les incendies.
Equipement contre les incendies (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
L'infirmerie (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Pour les bobos du quotidien ou les accidents plus graves, le BCR est doté d'installations hospitalières. « Nous avons une salle de soins avec divers équipements, dont un défibrillateur, ainsi qu'une salle dotée de quatre lits, dont deux électriques. Nous disposons aussi d'une pharmacie importante, qui comprend plusieurs centaines de boites de médicaments », précise le Premier-Maître Nathalie Silvestre. Cette infirmière constitue, avec le médecin du bord, le personnel médical de la Somme. « Nous sommes équipés pour pouvoir traiter les brûlures, si jamais il y a un incendie, mais au quotidien on rencontre plutôt les mêmes pathologies que dans le cabinet d'un médecin généraliste ». Le bloc opératoire dont avait initialement été doté le bateau a en revanche été fermé.
Dans les cuisines de la Somme (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
412 repas et 180 baguettes par jour
Centre névralgique du bateau, la cuisine est assez vaste et ce qui s'y prépare est suivi avec attention par l'équipage. Quand on est en mer, les repas sont en effet des moments importants et, comme on dit dans la marine, « la nourriture c'est le moral ». Pas question donc de faire un impair dans le menu, faute de quoi les cuisiniers en entendront parler un moment. Pour nourrir 160 marins, la cuisine consomme quotidiennement 90 kilos de viande et autant de légumes, sans oublier la farine. « On fait tout à bord, y compris le pain, avec 180 baguettes qui sortent chaque jour du four », précise le Maître Christophe Blot. Pour casser la routine, l'équipe de la cuisine apprécie les escales, qui sont souvent l'occasion de confectionner des cocktails et de préparer des repas officiels plus élaborés. Car, lorsque le bâtiment relâche dans un port étranger, les repas servis à bord aux invités font intégralement partie des missions de représentation. Dans ce contexte, il est exclu d'entacher la réputation culinaire française. « C'est bien car ça change de l'ordinaire et cela nous permet de préparer des choses que l'on ne peut pas forcément faire pour tout le monde ».
On notera enfin que tout le monde, à bord, bénéficie du même menu, du matelot au commandant. Un effort sera néanmoins fait sur la présentation pour les grandes supérieurs : Assiettes en porcelaines et couverts en argent pour les officiers (servis à table) et plateaux repas et self service pour le reste de l'équipage. Une seule exception au « menu unique » existe. Lorsque l'amiral est à bord, il embarque avec son cuisinier personnel. Question de tradition...
Deux BCR à la mer (© : MARINE NATIONALE)
Afin de mieux comprendre l'intérêt et le fonctionnement des bateaux de ravitaillement de la marine, nous avons embarqué quelques jours, au début de l'hiver, sur la Somme, alors que le Bâtiment de Commandement et de Ravitaillement (BCR) était déployé au large des côtes libanaises.
La Somme (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Station service itinérante
Mis sur cale en 1985 aux chantiers de la Seyne-sur-Mer, la Somme est entrée en service en 1990. Initialement, le bateau n'était pas destiné à la Marine nationale mais au marché export. On pensait alors que l'Arabie Saoudite, après avoir commandé deux unités dérivées de la Durance, serait intéressée par un troisième pétrolier ravitailleur. Ryad ne donnant pas suite, la France a acquis le bateau, qui est venu compléter les quatre unités de ce type réalisées à Brest. Après la vente de la Durance à l'Argentine, en 1999, seuls quatre navires restent en service dans la marine française. Les trois derniers, les Var, Marne et Somme, sont appelés Bâtiments de Commandement et de Ravitaillement (BCR), alors que la Meuse n'assure qu'une fonction de pétrolier-ravitailleur. Longs de 157.2 mètres pour une largeur de 21.2 mètres et un déplacement de 7800 tonnes (18.000 tonnes à pleine charge), les BCR sont avant tout des stations services itinérantes. Ainsi, leurs soutes peuvent contenir 8400 tonnes de gasoil et 1100 tonnes de carburant aviation. Ce combustible sert aussi bien pour les navires ravitaillés que pour les aéronefs embarqués. Ainsi, même si le porte-avions Charles de Gaulle dispose d'une propulsion nucléaire, il n'échappe pas aux ravitaillements, essentiellement destinés à regarnir les soutes dédiées au carburant de son groupe aérien. Mais les BCR délivrent également d'autres types de marchandises. Ainsi, ils embarquent 250 tonnes d'eau douce, 170 tonnes de vivres, 250 tonnes de rechanges et 170 tonnes de munitions.
Les installations de ravitaillement de la Somme (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Les manches sont soutenues par deux portiques (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Les portiques de la Somme (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Le Latouche-Tréville s'approche pour être ravitaillé (© : MER ET MARINE - ERIC HOURI)
Bord à bord à seulement 35 mètres de distance
En ce mercredi après-midi, alors que le soleil tombe sur la Méditerranée orientale, le Latouche-Tréville manoeuvre à quelques nautiques de la Somme. Après avoir effectué un large virage, la frégate remonte le BCR puis, une fois arrivée à la bonne hauteur, se stabilise à la même vitesse, soit une douzaine de noeuds. Une trentaine de mètres seulement sépare les deux bateaux. Du haut de la Somme, on mesure la difficulté de la manoeuvre. Le ravitailleur mesure 157 mètres, la frégate 139. L'un déplace près de 20.000 tonnes, l'autre 4000, le tout avec une force d'inertie colossale. Au moindre problème, l'abordage serait une menace immédiate et on imagine les dégâts que pourrait engendrer une collision entre les deux navires. La plus grande vigilance est donc de mise. A l'aileron de la passerelle de la Somme, le Lieutenant de Vaisseau Joël Caplain suit la manoeuvre avec attention. « Le ravitaillement à la mer impose de très bien savoir qui fait quoi, aussi bien pour nos équipes à bord que pour celles du navire ravitaillé. Il y a des procédures très précises et nous déroulons une séquence tout en maintenant une surveillance. Avec la navigation de proximité, il y a en effet toujours un risque d'avarie de moteur ou de barre et il faut donc pouvoir se séparer rapidement ». Alors que la frégate navigue sous le contrôle du ravitailleur, une équipe de marins, casqués, s'active sur la plage avant de chaque bateau. Au moyen d'un fusil lance-grappin, ces hommes vont passer une ligne de distance. Parcourue de petits fanions, cette ligne permet de mesurer l'évolution de la distance entre les deux bateaux. L'écart est, d'ailleurs, reporté sur un grand panneau lumineux orienté vers le navire ravitaillé.
Le LV Caplein (© : MER ET MARINE - ERIC HOURI)
A bord de la Somme (© : MER ET MARINE - ERIC HOURI)
Le Latouche-Tréville évolue à une trentaine de mètres (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Le Latouche-Tréville évolue à une trentaine de mètres (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Equipe sur la plage avant du Latouche-Tréville (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Les deux navires bord à bord (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
De 180 à 600 m3 de gasoil par heure
Une fois les deux plateformes parfaitement alignées et filant à la même vitesse, le gréement est passé. Ces câbles soutiennent un gros tuyau noir, appelé « manche », progressivement déployé depuis l'un des portiques de la Somme vers le Latouche-Tréville. Le tuyau connecté, le ravitaillement en combustible peut commencer, le débit pouvant aller de 180 à 600 m3 par heure. Sur chaque côté des deux portiques de la Somme, on distingue trois manches, la plus grosse pour le gasoil et les deux petites pour le carburant aviation (TR5) et l'eau douce. L'opération est gérée depuis le PC Cargaison, sorte de tour de contrôle située au centre de la Somme, entre les deux portiques. Aujourd'hui, c'est le second-maître Diolinda Desmarais, chef de poste, qui est aux commandes. La jeune femme transmet ses ordres d'une voix aussi ferme qu'impressionnante et, derrière elle, on ne « moufte » pas. Seule femme à occuper cette fonction, Diolinda est à la tête d'une équipe de quatre personnes, soit deux « sytaristes », pour la manutention des manches et câbles, et deux treuillistes. « Cela fait deux ans et demi que j'occupe ce poste. C'est un travail intéressant. Il faut notamment être capable de réagir au moindre problème », explique-t-elle. Les manoeuvres sont en effet dangereuses. Pour le Second-Maître Desmarais : « Il y a une attention constante au PC Cargaison pour assurer la sécurité du personnel situé à l'extérieur, sur les plages de ravitaillement. Un câble qui lâche, c'est en effet comme une guillotine. On doit donc veiller à ce que la tension soit constante ».
Passage de la manche (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Passage de la manche (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Le PC Cargaison (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Au PC Cargaison (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Sur la Somme (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Sur la Somme (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
(© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Jusqu'à trois bateaux ravitaillés simultanément
Pour ce ravitaillement à la mer, le Latouche-Tréville vient « biberonner » 100 m3 de gasoil. Comme tout navire de guerre, qui est amené à effectuer des pointes de vitesse pour les besoins de sa mission, la frégate peut consommer un volume important de carburant. En moyenne, sa propulsion engloutit chaque jour entre 15 et 20 m3 de gasoil (soit 15 à 20 tonnes). A titre d'exemple, son autonomie serait de deux jours et demi, à 30 noeuds, sur turbines à gaz, et d'une quinzaine de jours, à une douzaine de noeuds, sur moteurs diesels. N'utilisant jamais l'intégralité de ses stocks, car devant garder des réserves en cas de besoin, le Latouche-Tréville vient non seulement « recompléter » ses soutes à combustible mais aussi remplir ses frigos. Alors que le gasoil est injecté par la manche, dans le même temps, via le second portique de la Somme, des charges lourdes sont transférées. Qu'il s'agisse d'une torpille ou de packs de lait, cette cargaison est directement acheminée par ascenseur, des soutes de la Somme jusqu'aux passes manoeuvre, qui s'étalent au centre du navire et donnent directement accès sur l'extérieur. Dans ces deux larges coursives où l'on trouve de petits véhicules de manutention, les cargaisons sont entreposées avant transfert.
A la porte du passe manoeuvre (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Le passe manoeuvre (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Le passe manoeuvre (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Préparation d'une palette (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Transfert d'une palette (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Transfert d'une palette (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Transfert d'une palette (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Transfert d'une palette (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Transfert d'une palette (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Ainsi, des milliers de litres de gasoil et plusieurs palettes de vivres vont, simultanément, passer d'un bord à l'autre.
Cette fois, le transbordement prendra une grosse demi-heure, mais dans certains cas, la durée des transferts est beaucoup plus longue. D'où la nécessité, pour un navire soutenant une importante force navale, de pouvoir ravitailler plusieurs unités en même temps. « Nous pouvons ravitailler simultanément, en combustible, trois navires, soit un sur chaque bord et un troisième en flèche, c'est-à-dire par l'arrière du bateau. Nous ne pouvons en revanche le faire que pour deux bateaux pour les charges lourdes, qui nécessitent un portique. On utilise l'un ou l'autre des portiques suivant l'emplacement des vannes et la longueur du navire ravitaillé », explique le capitaine de corvette Laurent Baudet, commandant adjoint navire (chef mécanicien) de la Somme. Le ravitaillement en flèche, moins commode, est toutefois peu utilisé, notamment depuis l'entrée en service de nouveaux bâtiments aux formes furtives. « Cela se fait de moins en moins, notamment parceque les bateaux modernes ont des plages avant couvertes. La récupération du matériel est donc plus difficile », précise le major René Riffault.
La Somme et le porte-avions Charles de Gaulle (© : MARINE NATIONALE)
« Indispensables pour agir depuis la mer dans la durée »
Essence, nourriture, eau, munitions... Ce sont donc des marchandises très variées que les BCR vont délivrer aux autres navires. Ils se chargent même de l'enlèvement des poubelles du porte-avions et des frégates, qui ne peuvent très longtemps stocker leurs ordures à bord, faute de place. Deux conteneurs réfrigérés permettent à la Somme d'accueillir l'équivalent d'un mois de mission mais, lorsque ces boites sont utilisées pour vider les poubelles du groupe aéronaval, elles sont pleines en un passage. L'ensemble de ces capacités permet aux unités de combat de se consacrer pleinement à leurs missions, sans se soucier de la logistique. Pendant que celles-ci sont en opérations, le BCR va au port où il recharge ses soutes, prenant soin d'acheter le combustible là où il est meilleur marché (quand cela est possible bien entendu). Ainsi, durant la mission Héraclès au large de l'Afghanistan, en 2002, deux ravitailleurs soutenaient le Charles de Gaulle et son escorte. Pendant que l'un d'eux restait avec la flotte, l'autre faisait la navette vers les points de rechargement. « Les bâtiments de ravitaillement sont indispensables pour agir depuis la mer dans la durée. Si la marine veut continuer à pouvoir déployer longtemps des navires au large des pays sans toucher terre, ce sont ces bateaux qui lui en donnent la capacité. La Somme représente l'équivalent d'un mois d'activité, en toute autonomie, pour le porte-avions. Clairement, ce type de bateaux contribue à la crédibilité du groupe aéronaval », souligne le Capitaine de Frégate Pascal Le Claire, commandant de la Somme.
Le CF Le Claire (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Navire amiral
Comme le Var et la Marne, la Somme dispose d'un bloc passerelle plus développé (8 mètres de longueur en plus) que les deux premiers navires de la série, les Durance et Meuse. Ces locaux supplémentaires permettent de recevoir 45 passagers, soit les logements nécessaires à un état-major embarqué ainsi qu'un Central Opération, un PC Télec et une salle de réunion. Conçus au début des années 80, ces espaces de commandement restent néanmoins exigus et n'ont rien à voir avec les postew de commandement embarqués sur les nouveaux BPC (Bâtiments de Projection et de Commandement) du type Mistral, qui disposent d'un PC de 800 m² pouvant accueillir 150 postes. Malgré tout, les BCR rendent encore les plus grands services pour les missions de commandement. Ainsi, l'un des trois BCR (actuellement le Var) navigue en permanence en océan Indien où il sert de base mobile à l'amiral responsable de cette zone (ALINDIEN). De même, la Somme a servi, fin 2008, de navire amiral à la TF 448, volet naval de la Force Intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL). C'est au cours de cette mission que nous avons embarqué. Le contre-amiral français Alain Hinden était alors à la tête d'un état-major multinational de 35 personnes, comprenant notamment six Italiens, deux Espagnols, un Portugais, un Grec et un Turc.
L'Etat-major de la TF448 sur la Somme (© : MER ET MARINE - ERIC HOURI)
Un bateau de manoeuvriers et de mécaniciens
Sur un BCR, l'ambiance est très différente de celle que l'on peut rencontrer sur un navire de combat. Sur un ravitailleur, on trouve en effet des métiers spécifiques. L'équipage, qui comprend 160 marins, est en grande partie composé de manoeuvriers et de mécaniciens, notamment spécialisés dans l'hydraulique. On compte à bord une forte proportion d'officier-mariniers, qui représentent les deux tiers des effectifs. « Ici, le savoir-faire est plus axé sur les capacités d'encadrement des équipes que sur les connaissances technologiques. Les gens aiment leur métier à bord et les cadres viennent rarement pour la première fois. Ils sont naturellement rompus au bout d'une sorte de parcours initiatique. Ils ont 25 ou 30 ans de carrière et ont déjà embarqué 6 à 8 ans sur ce type de bâtiment. Pour certaines spécialités, comme les manoeuvriers, être chef de manoeuvre sur un ravitailleur, c'est l'aboutissement d'une carrière. Même chose pour ceux qui aiment l'hydraulique. Dans ce cas, être ici c'est le Graal », explique le pacha de la Somme.
Sur le pont de la Somme (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Dans ce monde bien huilé, au milieu des câbles, des pompes et des vérins, on ne fait pas de « chichi » et les relations sont plutôt franches. Entré à l'Ecole des Mousses à l'âge de 16 ans, Pascal Le Claire a franchi patiemment les échelons, jusqu'à devenir commandant de ce bateau. Très accessible, l'officier apprécie tout particulièrement la vie sur ce type de navires. « Il y a un vrai côté humain. On a une population de mécanos et de manoeuvriers qui de mon point de vue est attachante, parcequ'un peu rustique, dans le sens ou le dialogue est franc et que ça reste familial ».
La passerelle de la Somme (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
La vie à bord
Pour l'équipage, la vie à bord d'un bâtiment de ravitaillement a ses avantages. Le premier est l'espace. Sur ce vaste bateau, les marins ont beaucoup plus de place que sur une frégate ou même le porte-avions, où près de 2000 personnes s'entassent dans une coque de 261 mètres de long. Chez les officiers-mariniers, il est même possible d'avoir son propre poste. Tout le monde n'est bien entendu pas logé à la même enseigne mais, dans l'ensemble, les conditions de vie sont présentées comme bonne. Ainsi, au K113, le poste des « Choufs », où ils sont jusqu'à 12 à vivre, deux rangées de trois bannette superposées se font face. Un simple rideau sépare cet espace d'un petit salon, où les hommes passent une partie de leur temps de repos. Entre deux pages d'un magazine, un quartier-maître parle volontiers de la vie à bord. « Cela fait 7 ans que je suis dans la marine. Il y a des règles de vie à respecter et il faut supporter les autres, surtout en fin de mission, où on ne supporte plus grand-chose. On n'a pas les mêmes horaires. Certains dorment pendant que d'autres vivent. Il faut donc éviter de mettre le volume de la télé trop fort ou claquer les portes. Pour un jeune qui arrive et qui ne sait pas ce que c'est de ranger ses affaires, de respecter les autres et de faire son lit, c'est un bon apprentissage ! » Comme sur chaque navire, en dehors de leurs heures de travail, les hommes peuvent se détendre dans les carrés. A la fois salle à manger, bar et salon, l'accès à ces espaces dépend du grade. Ainsi, les officiers se retrouveront entre eux, tout comme les officiers mariniers ou les quartiers-maîtres et matelots. Et quand on n'appartient pas au carré, pas question d'y mettre les pieds, à moins d'y être invité. Cette répartition permet notamment aux marins de parler librement, voire de critiquer leurs supérieurs à l'abri des oreilles indiscrètes. Cette possibilité, qui parait anodine à terre, prend tout son sens après plusieurs mois de mission dans un espace confiné.
Sur la Somme (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Pour ces hommes et femmes, l'une des plus grandes difficultés, en dehors de la promiscuité, reste l'éloignement du foyer. Parfois déployés à des milliers de kilomètres de leur maison, les marins peuvent rester des mois sans voir leurs proches. Heureusement, la technologie a permis de rapprocher les équipages des familles. Deux cabines téléphoniques sont disponibles à bord, les appels étant facturés au tarif local. Des téléphones sont également installés dans certains postes et Internet a littéralement bouleversé la vie embarqué. « Ca aide beaucoup, même si des fois, on est plus facilement au courant des mauvaises nouvelles, ce qui n'est pas forcément mieux puisqu'on est loin et qu'on ne peut pas faire grand-chose », confie un officier-marinier.
Salle de sport sur la Somme (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Etre Marin, c'est du sport
A bord de la Somme, pour se détendre, le sport est également une valeur sûre. Là encore, l'espace offert par le navire est très apprécié. On peut profiter des ponts extérieurs pour le footing et un espace a été aménagé en salle de sport, avec une bonne dizaine de machines. Dans les larges coursives où transitent pendant les manoeuvres les palettes destinées au ravitaillement, il n'est également pas rare de voir accroché un sac sur lequel quelques marins s'offrent une séance de boxe. « Les gens peuvent faire du sport quand ils ne sont pas de quart. Ca permet de se maintenir en forme », explique le maître d'équipage.
Toutes ces activités, encouragées par le commandant, ont pour but de permettre à l'équipage de se défouler. Car, contrairement à ce qu'imaginent les « terriens », la vie sur un navire militaire est très dense et, notamment sur un ravitailleur, très physique. Outre les manoeuvres de transbordement avec d'autres bâtiments, la vie du bord est ponctuée par les quarts. La plupart du personnel travaille par tranche de quatre heures, qui suit quatre heures de repos et en précède quatre autres (ou, si l'on préfère, il n'y a que quatre heures de repos entre deux tranches de travail de quatre heures chacune).
La pièce de 40 mm au cours d'un exercice (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Il faut donc prendre le rythme, notamment au niveau des heures de sommeil, indispensables pour compenser des journées bien remplies. En plus du travail de chacun, des exercices quotidiens sont réalisés afin de maintenir l'entrainement. Il peut s'agir d'exercices de sécurité, où un incendie est simulé à bord, d'exercice de tirs ou bien entendu de ravitaillement. Pour la lutte contre le feu, les cuisiniers se transformeront par exemple en pompiers car, en plus des petits plats, certains remplissent également cette fonction à bord. Il n'est pas non plus rare de voir un maître d'hôtel casqués derrière une mitrailleuse. Comme il n'est pas possible d'avoir un homme pour chaque poste, les marins ont en effet plusieurs métiers. La polyvalence se retrouve jusque dans les coupes de cheveux. En effet, sur la Somme, le coiffeur est boucher-traiteur de formation. Autant dire qu'il est assez réputé pour son coup de ciseaux.
Entretien des pièces de 12.7 mm (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
En dehors des exercices, l'équipage doit, évidemment, assurer en permanence le bon fonctionnement et l'entretien des matériels. Ainsi, alors que certains s'affairent à balayer les coursives, piquer la rouille ou à repeindre la coque, plusieurs hommes sont aujourd'hui occupés à briquer l'artillerie légère. « Tous les 15 jours on démonte les mitrailleuses de 12.7 mm. Nous le faisons aussi pour le canon de 40 mm en profitant des escales. Cet entretien permet d'enlever les poussières et les résidus de poudre, tout en contrôlant l'usure des pièces. C'est important, surtout pour des armes qui sont dehors 24 heures sur 24 », explique le Premier-Maître Burel. On notera qu'en plus de l'artillerie, les moyens d'autodéfense du navire comprennent des systèmes surface-air à très courte portée Simbad, dotés chacun de deux missiles Mistral.
Au PC Propulsion (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
21.000 cv sous la carène
Au fond de la Somme, une longue et raide échelle donne accès aux compartiments des machines. On y trouve notamment deux impressionnants moteurs diesels de 16 cylindres, pièces maîtresses de la propulsion, qui développe plus de 21.000 cv. Dans l'air, l'odeur de l'huile est omniprésente. Il y a aussi le bruit, assourdissant, et la température, qui peut atteindre et même dépasser 35 degrés. Bref, les conditions semblent assez difficiles, ou plutôt le sont pour les visiteurs. Car c'est aussi là que l'on trouve la « crème » des mécanos, équipes aussi passionnées que compétentes, aux petits soins pour ces gros pistons et cet imposant réducteur afin que l'ensemble tourne comme une horloge. « Les jeunes mécaniciens commencent par les extérieurs. On les trouve aux bossoirs, puis à la barre et aux stabilisateurs. Ensuite on les voit au froid, sur les auxiliaires et enfin à la propulsion. Il y a tout un processus de formation qualifiante », explique le capitaine de corvette Baudet. Selon le « chef », les possibilités d'évolution dans ces métiers sont d'ailleurs réelles. « Celui qui le veut peut gravir les échelons. On peut commencer quartier-maître, passer son brevet supérieur et aller jusqu'à maître principal puis, avec le brevet de maîtrise, il y a des passerelles pour devenir officier avec des concours pour intégrer l'Ecole navale ».
Dans les machines (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Comme les autres unités de la flotte, la Somme doit pouvoir se déployer loin et, surtout, longtemps. Autant que possible, les marins éviteront d'avoir recours à l'aide extérieure, notamment pour les problèmes techniques. C'est pourquoi, avant chaque mission, un stock de pièces détachées est embarqué. Le BCR dispose également d'un atelier de réparation et peut compter, au sein de son équipage, sur les compétences de deux soudeurs et un tourneur. « Nous intervenons surtout pour des réparations d'urgence, par exemple pour des problèmes de soudure ou s'il y a besoin de tourner ou usiner une pièce », explique le Second-Maître Joann David, en plein travail dans l'atelier.
L'atelier de la Somme (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Sécurité et installations hospitalières
Usine flottante, la Somme est également confrontée aux mêmes risques qu'une industrie terrestre, dangers aggravés par l'exigüité des locaux et les mouvements de la plateforme en mer. Des équipes de sécurité veillent donc en permanence à l'intégrité du bateau, d'autant que le carburant et les munitions stockées à bord en font une véritable bombe flottante. C'est pourquoi les mesures de sécurité sont très importantes, notamment en matière de lutte contre les incendies.
Equipement contre les incendies (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
L'infirmerie (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Pour les bobos du quotidien ou les accidents plus graves, le BCR est doté d'installations hospitalières. « Nous avons une salle de soins avec divers équipements, dont un défibrillateur, ainsi qu'une salle dotée de quatre lits, dont deux électriques. Nous disposons aussi d'une pharmacie importante, qui comprend plusieurs centaines de boites de médicaments », précise le Premier-Maître Nathalie Silvestre. Cette infirmière constitue, avec le médecin du bord, le personnel médical de la Somme. « Nous sommes équipés pour pouvoir traiter les brûlures, si jamais il y a un incendie, mais au quotidien on rencontre plutôt les mêmes pathologies que dans le cabinet d'un médecin généraliste ». Le bloc opératoire dont avait initialement été doté le bateau a en revanche été fermé.
Dans les cuisines de la Somme (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
412 repas et 180 baguettes par jour
Centre névralgique du bateau, la cuisine est assez vaste et ce qui s'y prépare est suivi avec attention par l'équipage. Quand on est en mer, les repas sont en effet des moments importants et, comme on dit dans la marine, « la nourriture c'est le moral ». Pas question donc de faire un impair dans le menu, faute de quoi les cuisiniers en entendront parler un moment. Pour nourrir 160 marins, la cuisine consomme quotidiennement 90 kilos de viande et autant de légumes, sans oublier la farine. « On fait tout à bord, y compris le pain, avec 180 baguettes qui sortent chaque jour du four », précise le Maître Christophe Blot. Pour casser la routine, l'équipe de la cuisine apprécie les escales, qui sont souvent l'occasion de confectionner des cocktails et de préparer des repas officiels plus élaborés. Car, lorsque le bâtiment relâche dans un port étranger, les repas servis à bord aux invités font intégralement partie des missions de représentation. Dans ce contexte, il est exclu d'entacher la réputation culinaire française. « C'est bien car ça change de l'ordinaire et cela nous permet de préparer des choses que l'on ne peut pas forcément faire pour tout le monde ».
On notera enfin que tout le monde, à bord, bénéficie du même menu, du matelot au commandant. Un effort sera néanmoins fait sur la présentation pour les grandes supérieurs : Assiettes en porcelaines et couverts en argent pour les officiers (servis à table) et plateaux repas et self service pour le reste de l'équipage. Une seule exception au « menu unique » existe. Lorsque l'amiral est à bord, il embarque avec son cuisinier personnel. Question de tradition...
Deux BCR à la mer (© : MARINE NATIONALE)