A bord du porte-avions USS Harry S. Truman
Le porte-avions USS Harry S. Truman (CVN 75) crédits : US NAVY |
26/05/2008
Nous vous proposons aujourd'hui un reportage exclusif, réalisé la semaine dernière, en Méditerranée, à bord de l'USS Harry S. Truman (reportage photo en fin d'article). Après les sous-marins nucléaires lanceurs d'engins, ce bâtiment et ses sisterships sont ce que l'on peut considérer comme les plus puissantes machines de guerre imaginées par l'homme. Avec ses 332.84 mètres de long et ses 104.000 tonnes de déplacement, le CVN 75 a de quoi impressionner. Capable d'embarquer 70 avions et hélicoptères, le navire rejoindra début juin sa base de Norfolk, sur la côte Est des Etats-Unis. Il en était parti le 5 novembre pour une longue mission de 7 mois dans le golfe Persique, opération au cours de laquelle son groupe aérien embarqué a appuyé les troupes terrestres déployées en Irak. « Les missions duraient de 5 à 6 heures », explique le lieutenant Pete Langley, pilote de Super Hornet, qui a réalisé 31 missions au dessus de l'Irak. Si l'aéronavale américaine semble avoir tiré moins de bombes durant cette campagne que par le passé, les F/A-18 ont maintenu une présence dissuasive. « Nous passions au dessus des zones en faisant du bruit, de manière à ce qu'en bas, on sache que des avions étaient en l'air, prêts à intervenir en cas de besoin ».
Le porte-avions : une culture historique chez les Américains
Aux Etats-Unis, la population reste très sensible à l'image que représentent ces redoutables navires de combat. « Pour les gens, savoir que nous avons des porte-avions dans le monde donne un sentiment de sécurité ». La culture américaine du porte-avions remonte aux années 30. Protégés par deux océans, les USA semblent alors intouchables mais, dans le même temps, doivent pallier au problème de la mise en oeuvre de l'avion, dont on perçoit déjà le potentiel militaire, dans ces immenses espaces maritimes. Plusieurs bâtiments spécialisés dans l'emport d'appareils sont alors mis en chantier. L'intérêt de ces navires sera démontré de manière éclatante en décembre 1941, lorsque l'attaque de Pearl Harbor met hors de combat la flotte du Pacifique. Grâce à leurs porte-avions, les Japonais sont parvenus à déployer une force considérable à des milliers de kilomètres et à attaquer par surprise et en plein coeur leurs adversaires. La Navy retiendra la leçon. Par chance, les trois porte-avions américains alors en service échappent au raid nippon et c'est justement sur eux que la marine va s'appuyer pour débuter la reconquête du Pacifique. A la fin de la seconde guerre mondiale, les Américains aligneront une centaine de porte-avions lourds et de porte-avions d'escorte. Grâce à l'indispensable maîtrise des mers, ils assureront leurs approvisionnements, tout en privant leurs ennemis du leur, et seront à même de reprendre les territoires occupés par les Japonais.
L'USS Harry S. Truman et son groupe aéronaval (© : US NAVY)
Une arme toujours considérée comme indispensable
Soixante ans plus tard, la problématique ne semble pas avoir beaucoup évolué dans la stratégie américaine. Les Etats-Unis sont toujours bordés par deux océans et les zones d'opérations sont toujours aussi éloignées des bases nationales. Le centre de gravité géostratégique s'est déplacé vers l'océan Indien, le golfe et l'Asie, là où transitent l'essentiel des approvisionnements mondiaux en matières premières. Station service et première autoroute commerciale de la planète, la région est également très sensible, qu'il s'agisse de conflits latents entre pays riverains, de terrorisme ou de piraterie. Dans ce contexte, l'emploi des porte-avions reste, aux yeux des Américains, totalement indispensable. « Dès qu'il y a une crise, la première question est de savoir où est notre porte-avions le plus proche. Le porte-avions donne une énorme flexibilité. Nous pouvons opérer en toute liberté dans les eaux internationales, aller près du problème si nous voulons intervenir ou faire savoir que nous sommes là, ou bien, au contraire, aller plus loin et être moins visibles », explique le contre-amiral Mark Fox. Pour le commandant du « Harry S. Truman Carrier Strike Group », le porte-avions représente : « une importante capacité militaire et diplomatique, un outil majeur de la sécurité nationale et une grande flexibilité d'emploi ». Aux USA, on a coutume de dire qu'un bâtiment comme le CVN 75, c'est « 100.000 tonnes de diplomatie ». Secrétaire d'État sous Richard Nixon puis Gerald Ford, Henry Kissinger expliquait, quant à lui, que de « toutes les crises qu' (il avait) eu à gérer, l'emploi du porte-avions s'(était) révélé presqu'invariablement déterminant ». Offrant des capacités militaires très importantes, avec l'emport d'armements conventionnels et nucléaires sur ses chasseurs-bombardiers, le porte-avions permet souvent, par sa seule présence, d'apaiser les tensions. Le concept est simple : Tout agresseur potentiel doit y réfléchir à deux fois avant de s'en prendre aux intérêts vitaux du pays, comme les flux énergétiques. C'est le cas notamment pour Ormuz, goulot d'étranglement reliant le Golfe à l'océan Indien. La libre circulation des pétroliers dans ce détroit est cruciale pour l'économie occidentale et, à plusieurs reprises, l'Iran a menacé d'en barrer le passage. C'est pourquoi, au printemps 2006, les Etats-Unis et la France ont ordonné à leurs groupes aéronavals de se rapprocher des côtes iraniennes, démonstration de force qui fut suffisante pour calmer les velléités iraniennes et ramener Téhéran à la table des négociations.
F/A-18 survolant l'USS Harry S. Truman (© : US NAVY)
Une réponse au manque de bases terrestres et à l'Air Force qui reste parfois clouée au sol
Outil diplomatique de premier rang, le porte-avions est aussi, pour les Etats-Unis, une réponse à la problématique croissante du manque de bases utilisables par l'US Air Force. « Certaines nations refusent que nous basions des avions chez elles pour opérer. Or, avec le porte-avions, nous n'avons pas le désavantage de devoir utiliser des bases aériennes dans des nations hôtes. Cela nous donne la liberté d'opérer et de prendre des décisions sans contrainte et sans imposer à un pays de recevoir nos avions », souligne l'amiral Fox. Les opérations menées cet hiver en Irak par le Truman ont, par ailleurs, mis en évidence une certaine souplesse d'emploi de l'aviation embarquée par rapport aux escadrons basés à terre. « Les jours où la météo était trop mauvaise, l'Air Force ne sortait pas. De notre côté, nous n'avons besoin que d'une quinzaine de secondes, en sortant des nuages, pour voir où est le bateau et nous poser. Or, même s'il fait mauvais, le bateau sait par exemple qu'à une dizaine de nautiques, le temps est meilleur. Il peut donc naviguer pour trouver une trouée et récupérer les avions », explique Pete Langley. Aérodromes flottants parfaitement autonomes, ces navires sont capables de parcourir, en toute liberté, près de 1000 kilomètres par jour. « On peut très rapidement changer de région. Au cours de notre déploiement en Irak, on savait qu'on avait la possibilité d'aller tout de suite vers l'Afghanistan s'il y avait besoin », précise le pilote de Super Hornet. Les Américains jouent donc beaucoup, comme le souligne l'amiral Fox, sur la liberté de mouvement des porte-avions. Et la fin de la guerre froide comme la montée en puissance de nouveaux armements, notamment les missiles de croisière, ne changent rien, aux yeux de l'US Navy, à l'utilité de ces bâtiments. « La nature des opérations a évolué. Nous ne nous concentrons plus sur la marine soviétique mais nous avons aujourd'hui besoin d'être flexibles et de pouvoir opérer près des côtes. Les missiles de croisières sont très utiles mais ils n'offrent pas la flexibilité d'un porte-avions ».
La plage avant du CVN 75 (© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
Sécuriser les approvisionnements
Les crises récentes, de l'ex-Yougoslavie à l'Irak en passant par l'Afghanistan, n'ont fait que renforcer l'importance de cette « flexibilité » dans des régions où il s'est révélé diplomatiquement très délicat de baser à terre des escadrons de chasse. Or, dans certaines situations, comme par exemple une rupture des flux maritimes commerciaux, les pays occidentaux ne peuvent pas se permettre de négocier durant des mois l'autorisation d'utiliser des infrastructures terrestres. En effet, que l'on soit Américain ou Européen, la problématique majeure de ce début de XXIème siècle reste la sécurisation des approvisionnements. Pétrole, gaz, conteneurs, acier, denrées alimentaires... 90% du commerce mondial transite aujourd'hui par la mer. La dépendance des pays occidentaux à la bonne marche du flux commercial maritime est donc totale. « La mondialisation fait que l'économie fonctionne à flux tendus, sans stock. La conséquence est une vulnérabilité de plus en plus grande à une éventuelle rupture dans le flux. Pour l'Europe, par exemple, la fermeture du canal de Suez serait un problème majeur car les bateaux devraient faire le tour de l'Afrique, ce qui leur prendrait 3 à 5 semaines de plus. Avec la politique de flux tendus, l'économie serait mise à mal car l'absence de matières premières gripperait l'activité industrielle. Et, par voie de conséquence, la rupture des approvisionnements pourrait entrainer le vide dans les magasins », affirme un amiral français.
CVN 75 : Un géant de 100.000 tonnes
Après avoir évoqué la stratégie américaine en matière de porte-avions, revenons plus spécifiquement à l'USS Truman. Le CVN 75 fait partie de la classe des six Theodore Roosevelt, une évolution des trois Nimitz entrés en service entre 1975 et 1982. Mis sur cale aux chantiers Northrop Grumman de Newport News en novembre 1993, le Harry S. Truman, d'abord appelé United States, a été lancé en septembre 1996 et admis au service actif en juillet 1998. D'un déplacement de plus de 100.000 tonnes, il peut atteindre la vitesse de 32 noeuds. Sa propulsion, nucléaire, est articulée autour de deux réacteurs à eau pressurisée et quatre groupes turbopropulseurs entrainant quatre lignes d'arbres.
Les dimensions du navire sont particulièrement impressionnantes, avec une longueur de près de 333 mètres et une largeur de 78.3 mètres au niveau du pont d'envol. Ce dernier, d'une surface de plus de 22.000 m², est presque deux fois plus vaste que celui du Charles de Gaulle. Il dispose de quatre catapultes à vapeur de 94.5 mètres propulsant les avions de 0 à 300 km/h en moins de 3 secondes. La piste oblique, d'une longueur de 275 mètres (contre 203 sur le CDG), est dotée de quatre brins d'arrêt et d'une barrière d'urgence, à même de recueillir les appareils en difficulté. En tout, une grosse quarantaine d'avions et d'hélicoptères peuvent être parqués sur le pont d'envol. Le reste du groupe aérien est abrité dans un vaste hangar long de 275 mètres, large de 45 mètres et haut de 7.6 mètres. Celui-ci est relié au pont d'envol par quatre ascenseurs d'une capacité unitaire de 47 tonnes. Disposés latéralement à raison de trois à tribord (dont deux devant l'îlot) et un sur bâbord arrière, ces ascenseurs présentent une largeur de 26 mètres, ce qui leur permet d'accueillir simultanément deux avions.
(© : MER ET MARINE - VINCENT GROIZELEAU)
6000 hommes à bord
Avec les porte-avions de la classe Theodore Roosevelt, l'expression « ville flottante » prend tout son sens. Le bord compte 157 officiers et 3050 hommes, auxquels il faut ajouter les effectifs du groupe aérien, soit 365 officiers et 2500 hommes. Le tableau de service peut donc compter 6072 personnes mais les porte-avions de ce type vont bénéficier du programme « Smart Ship ». Il doit permettre de réduire l'équipage à 5500 marins grâce à une automatisation plus poussée. Plus d'un tiers des personnels est affecté à la mise en oeuvre et au soutien de l'aviation embarquée. Du moteur d'avion au simple boulon, des dizaines de milliers de pièces détachées sont entreposées dans les magasins du bâtiment. Ces rechanges permettent d'assurer la maintenance et les réparations des aéronefs pendant la mission. La nuit, notamment, le hangar ressemble à une véritable fourmilière où une armada de techniciens s'affaire à l'entretien des avions qui partiront le lendemain en opération. Ce travail se poursuit bien évidemment en journée, tout comme les appareils peuvent être catapultés et récupérés de nuit. Sur le pont d'envol règne également une intense activité. Autour des appareils, de nombreux personnels s'activent. Mise en place de missiles ou de bombes, vérifications techniques, pleins de carburant, manoeuvres des appareils au moyen de petits tracteurs, positionnement sur les catapultes... C'est un véritable cérémonial, minutieusement organisé, qui voit entrer en scène, à tour de rôle, des hommes aux tuniques colorées. « En jaune, ce sont ceux qui commandent les mouvements sur le pont. En rouge, ce sont les équipes de sécurité. En bleu, ce sont les équipes de manutention. Sur le pont, chaque personne a une couleur qui lui est propre en fonction de son travail », explique l'amiral Mark Fox.
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